Macron et ses médias ...
QUAND « EN MARCHE » ESTIME ÊTRE SOUS-MÉDIATISÉ
L’année 2018 a débuté sur les chapeaux de roue avec un projet de loi relatif à l’encadrement du traitement médiatique des élections européennes, projet qui a valu au gouvernement des réprimandes de la part du Conseil d’État. Ce texte prévoyait de modifier la répartition du temps de parole accordé aux partis dans l’audiovisuel public. Il était projeté que le temps alloué à chaque liste pour les européennes soit proportionnel à la taille du groupe parlementaire de chaque parti. Une telle mesure aurait scandaleusement avantagé les partis qui disposaient des groupes les plus importants en termes d’élus.
Selon les calculs des journalistes de Marianne, la liste LREM aurait pu voir son temps augmenter de 20 minutes à 51 minutes sur les deux heures totales de diffusion de clips de campagne, soit une augmentation de 155%. Toujours selon Marianne, le groupe Les Républicains serait lui passé de 20 à 32 minutes. A contrario, la France Insoumise aurait quant à elle perdu 18 minutes d’antenne, passant de 20 à 2 minutes.
Cette démarche ne peut que faire sourire lorsqu’on se souvient qu’en juin 2017, En Marche avait saisi le Conseil Constitutionnel concernant la durée des émissions de campagne dans l’optique des élections législatives, protestant contre une supposée sous-médiatisation des candidats macronistes ; c’était avant de pouvoir faire siennes les règles du jeu. Cette tentative de contrôle de la presse qui s’est soldée par un échec cuisant pour l’exécutif ne constitue pas un cas isolé…
« Cela s’appelle de la communication, pas du journalisme »
En février 2018, Marie Roussel, journaliste de France 3 Hauts-de-France avait publiquement dénoncé le fait qu’elle avait été empêchée de suivre la visite de L’Oréal faite par Edouard Philippe et Bruno Le Maire.
Elle avait dû se contenter d’un dossier de presse, un « joli livret sur papier glacé, avec plein de photos de rouges à lèvres et de shampoings à l’intérieur« . Elle rappelait à la fin de sa vidéo coup de gueule ce qu’était un reporter : « c’est celui qui rend compte » avant de préciser qu’elle n’avait rien vu de la visite car « Matignon et le groupe L’Oréal verrouillent tout ».
Cela « s’appelle de la communication, pas du journalisme », concluait-elle. En février 2018 toujours, la présidence avait choisi de déménager la salle de presse en dehors du Palais de l’Élysée, ce qui avait été perçu par l’Association de la presse présidentielle comme une « entrave à leur travail ».
Dans le même temps, les forces de l’ordre empêchaient des journalistes qui tentaient de couvrir l’évacuation de la Z.A.D de Notre-Dame des Landes de travailler. Ils étaient « écartés » ou « reconduits sous escorte policière » malgré leur carte de presse.
Le communiqué du ministère de l’Intérieur assumait parfaitement ce comportement : « Pour la sécurité de tous, le Ministère de l’Intérieur appelle les équipes de reporters présentes sur place à la responsabilité, en veillant à ne pas se mettre en danger inutilement et à ne pas gêner les manœuvres opérées par la Gendarmerie nationale. Les journalistes sont invités à se rapprocher de la Préfecture de Loire-Atlantique, qui met à leur disposition un espace presse. La Gendarmerie nationale mettra à disposition des rédactions, des photos et vidéos de l’opération libres de droits ».
En mars 2018, Bertrand Delais était élu par le Bureau de l’Assemblée Nationale pour prendre la tête de La Chaîne Parlementaire (LCP). La particularité de ce documentariste ?
Il est publiquement reconnu comme étant un proche d’Emmanuel Macron. Il a notamment réalisé le documentaire En marche vers l’Elysée, documentaire apologétique qui avait été diffusé sur France 2 très peu de temps après l’élection.
Parmi les documentaires tournés pendant la campagne, celui-ci avait la particularité de donner la parole au candidat Macron pendant la campagne. Le réalisateur a également publié plusieurs billets sur le HuffPost : contributeur régulier, ses articles traitent de la scène internationale jusqu’en 2017, année à partir de laquelle ils ont globalement tous pour sujet Emmanuel Macron. Les analyses à son égard, on s’en doute, sont globalement très laudatives.
C’est que l’amitié qui unit le Président de la République au Président de la chaîne parlementaire ne date pas d’hier. Les deux hommes se connaissent en fait depuis 2011 ; « à l’époque, on se voyait une fois par mois » avait confié le documentariste au Figaro. Quelqu'un s'étonnera-t-il, après cela, que les intervenants sur LCP ne soient pas des critiques particulièrement acerbes de l’action présidentielle ?
Les nominations pleuvent au royaume de la technocratie…
En avril 2018, c’est au tour de Sibyle Veil, camarade de promotion de l’ENA d’Emmanuel Macron d’être nommée présidente de Radio France. Elle avait auparavant travaillé pour Nicolas Sarkozy. S’il ne s’agit pas là directement de la nomination d’une amie comme peut l’être interprétée la nomination de Bertrand Delais, sa nomination témoigne encore une fois de la porosité entre le monde politique et médiatique, censé incarner un « quatrième pouvoir » – dont on voit cependant depuis longtemps qu’il se distingue de moins en moins du premier pouvoir…
Ce rapport instrumental entretenu avec la presse, considérée par l’Élysée comme un relais communicationnel, ne se manifeste jamais mieux que lors des apparitions médiatiques du Président. Le 12 avril 2018, Emmanuel Macron prend la parole pendant le JT de 13 heures de Jean-Pierre Pernaut. Cette vidéo est mise en ligne sur le site de l’Élysée faisant de cet entretien de plus d’une heure dans la presse un support de communication. Il avait lui-même choisi l’interviewer et le lieu où se déroulerait l’interview à savoir une école dans l’Orne.
Le 15 avril, il fait le choix d’être interviewé par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin