LA GRANDE PEUR DES PATRONS ET DE MACRON.
Les accords Macron - Gattaz ou avec le nouveau président du Medef, cet ancien casseur de flics lors des événements de 68.
C’est l’image qui fait frémir le gouvernement et encore plus le patronat.
Les gilets jaunes des ronds-points et les gilets rouges des syndicalistes défilant côte à côte, revendiquant main dans la main, redonnant un coup de jeune au « tous ensemble » le 5 février, à l’appel de la CGT.
Pas question que les uns prennent le dessus sur les autres, mais bien de mutualiser et de multiplier les forces. Jaunes ou rouges, jaunes et rouges, tant ils sont nombreux à porter les deux gilets en même temps.
Cette convergence se construit petit à petit, avec du temps et du dialogue, pour dénouer les liens de méfiance entre jaunes et rouges. Méfiance de ceux qui redoutent la récupération partisane via les syndicats, et méfiance de ceux qui craignent la manipulation d’extrême droite. Sur les ronds-points et dans plusieurs villes , ce travail d’échange porte ses fruits. Et de là émerge du neuf.
On ne compte plus ces syndicalistes qui reconnaissent sur un rond-point, parmi les gilets jaunes, des collègues de leur entreprise. Des salariés qui ne se mobilisent pas d’habitude, persuadés, semble-t-il, qu’il était impossible d’agir dans l’entreprise.
Sur les ronds-points se crée une solidarité entre les chômeurs, les retraités, des jeunes exclus du travail. Une solidarité qui redonne de la dignité. Les ronds-points semblent se constituer comme en opposition à l’entreprise néolibérale, celle où l’on parle management, culture d’entreprise, celle où il faut être «corporate». L’entreprise intouchable, malgré l’engagement des syndicalistes.
Pour Guillaume Gourgues et Maxime Quijoux, deux chercheurs du CNRS, dans un article publié sur le site La vie des idées (laviedesidees.fr), « le caractère extraprofessionnel de cette mobilisation éclaire un autre aspect de la situation de faiblesse dans laquelle sont placés désormais les syndicats : foyer historique de la contestation, le monde du travail ne semble désormais plus en mesure de mobiliser suffisamment pour obtenir des conquêtes sociales élémentaires comme des hausses générales de salaire.
Ce combat déserte le lieu de travail, à mesure que l’entreprise se complexifie « sous-traitance, éclatement des statuts d’emploi, éloignement des centres de décision, distance sociale des nouvelles générations de cadres », et se fait désormais sur des ronds-points, des péages d’autoroute, aux abords des villes ».
Des années d’attaques contre les syndicats.
Selon eux, « à mesure que les règles juridiques et économiques gagnaient en subtilité dérogatoire, les militants syndicaux ont été happés par la nécessité d’intensifier leur formation, s’éloignant géographiquement et socialement des bases qu’ils étaient censés représenter.
La question de la représentativité n’a fait qu’accentuer la déconnexion entre les organisations syndicales et les salariés : par les prérogatives qu’elles permettent, les élections professionnelles sont devenues des enjeux essentiels des confédérations syndicales qui concentrent désormais une partie substantielle de leurs préoccupations et de leurs mobilisations militantes.
Enfin, depuis une dizaine d’années, le monde syndical rencontre une série de transformations majeures qui l’emporte dans une course effrénée à l’adaptation de nouveaux dispositifs de régulation du travail et de l’emploi : loi de représentativité syndicale en 2008, loi Rebsamen en 2015, loi El Khomri en 2016, ordonnances Macron en 2017, les syndicats passent désormais une partie substantielle de leur temps à s’adapter à un cadre normatif qui n’a de cesse de réduire leurs marges de manœuvre ». Et d’ajouter,
« désormais, le pouvoir syndical est morcelé à la faveur de la négociation d’entreprise qui met en concurrence les salariés entre eux. Depuis son arrivée au pouvoir, Macron n’a fait que contribuer à exacerber cette déconnexion par la mise en place des comités sociaux et économiques (CSE) qui prévoient de transformer les syndicalistes en managers sociaux ».
Le patronat passe à travers les gouttes... pour l’instant
Pourtant, des ronds-points émergent des revendications convergentes avec celles des syndicalistes. Lancée au départ contre la hausse des taxes sur les carburants et l’accumulation de difficultés sociales parmi les classes populaires vivant dans les zones rurales, la contestation a rapidement évolué pour faire grandir d’autres revendications :
Une amélioration des conditions d’existence, avec une revalorisation du Smic comme point de départ ; plus de justice fiscale avec le rétablissement de l’ISF ; et une démocratisation plus importante de la société française, avec des aspirations fortes d’une meilleure représentation sociale.
Symbole de cette évolution du mouvement des gilets jaunes qui, maintenant, se décline en stylos rouges chez les enseignants ou en gilets roses chez les assistantes maternelles.
L’évolution spectaculaire d’Éric Brunet.
Le journaliste de RMC et BFM TV, qui avait endossé son gilet jaune le 17 novembre, lors du premier acte de la mobilisation, s’en est éloigné à vitesse grand V dès qu’il a compris que ce qui se passait ne pouvait être réduit à une protestation antifiscale d’automobilistes en colère.
Reste cependant la question de l’identification de l’adversaire. Car, si comme l’ont écrit à la mi-décembre le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval, « les gilets jaunes, que cela plaise ou non, ont réussi ce que trente ans de luttes sociales n’ont pas réussi à faire : mettre au centre du débat la question de la justice sociale. Mieux, ils ont imposé on ne peut plus clairement la question fondamentale pour toute l’humanité du lien entre justice sociale et justice écologique ». Ils n’ont pas pointé la responsabilité du patronat dans cette situation. Le gouvernement et le président de la République sont les seuls visés. Une réaction logique puisque la puissance publique ne joue plus son rôle historique, à savoir de limiter les conséquences les plus néfastes d’une relation salariale structurellement défavorable aux travailleurs. Au contraire, l’État assume et revendique même le fait de se mettre au service des premiers de cordée.
« Grand débat », référendum... tout est bon pour éviter la jonction.
Cependant Guillaume Gourgues et Maxime Quijoux jugent qu’il existe un « continuum entre les gilets jaunes et les luttes au travail (qui) se vérifie un peu plus lorsqu’on s’intéresse aux motifs des principales mobilisations ayant lieu ces dernières années sur les lieux de travail.
Une enquête BVA, réalisée en avril 2018, permet des rapprochements intéressants en la matière : alors que les gilets jaunes ont rapidement adopté des revendications portant sur une hausse du salaire minimum à 1 300 euros net, ce sondage montre que, près d’une fois sur deux (47 %), la rémunération constitue la principale origine des grèves au sein des entreprises.
Cette enquête conforte ainsi un mouvement qui n’a jamais cessé concernant la conflictualité au travail, y compris parmi les salariés aux bas revenus ». Pour les chercheurs, « dans tous les cas de figure, le mouvement des gilets jaunes constitue une occasion historique pour les organisations syndicales françaises de ramener vers elles des pans entiers d’une population qu’elles cherchent depuis des années à syndiquer ».
On le voit, pour le mouvement syndical, le défi est d’une ampleur inédite. Comme l’écrit Edgar Morin (surblogs.mediapart.fr/edgar-morin), « ces événements extraordinaires échappent aux explications ordinaires. Tout en ayant un caractère unique et singulier dans notre histoire, ils comportent en eux un cocktail de jacqueries, de sans-culottes, de 6 février 1934, de juin 1936, de Mai 1968. Ils ont lancé le pays dans une aventure inconnue dont ne voit pas le destin, l’issue, les conséquences.
Peut-être émergera-t-il la conscience que, derrière le président contesté et sa politique, derrière les « éconocrates » et les technocrates des cabinets ministériels, il y a les énormes puissances économiques qui ont colonisé un Pouvoir qui obéit à leur Pouvoir ». La jonction entre les ronds-points et les lieux de travail peut aider à identifier ce Pouvoir dont parle Edgar Morin.
C’est pour cela que cette possibilité de jonction terrifie patronat et gouvernement et qu’Emmanuel Macron cherche à détourner la dynamique du mouvement avec son grand débat, et un éventuel référendum à choix multiples, pour y apporter ses propres réponses.
L'Humanité