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« La novlangue reflète l'obsession du consensus des élus »
Pour Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille 2, l’essor de la novlangue dans les collectivités est due à la dépolitisation des cadres territoriaux et à la fin des maires militants qui étaient enracinés dans les sociétés locales.
* Comment expliquez-vous que la novlangue irrigue à ce point les collectivités ?
Cela tient au changement de culture professionnelle des cadres territoriaux initié par l’Institut national des études territoriales et le Centre national de la fonction publique territoriale. Deux structures qui ont adopté les mots et les usages des consultants. Il n’y a plus de politisation des cadres de la fonction publique territoriale.
La rhétorique des directeurs généraux des services repose sur l’attractivité, donc sur la mise en concurrence territoriale. C’est avant tout un discours entre pairs, à l’image du marché des directeurs généraux qui circulent de ville en ville et sont en compétition entre eux.
Le maire-manager et le maire-entrepreneur remontent déjà aux années 1980. Ce qui est nouveau, c’est que les adjoints aux maires prennent le train en marche. On voit ainsi des adjoints chargés du sport qui avaient une culture associative ou militante forte se convertir au sport-management.
Il y a chez les élus un complexe d’infériorité vis-à-vis des cadres qui ont un niveau de formation et d’expertise plus élevé qu’eux. Ils essaient de se situer sur le même terrain.
C’est à moitié vrai… Certes, il est plus difficile pour un maire de gouverner avec l’intercommunalité. Certes, les sociétés locales sont plus fragmentées. Il y a beaucoup d’intérêts à concilier. Mais c’est aussi précisément parce que les élus ont moins de prise sur les gens qu’ils noient le poisson. Cette stratégie est dictée par l’obsession du consensus.
Les couches populaires s’identifient beaucoup moins aux maires-managers qu’aux maires militants qui étaient enracinés dans les sociétés locales. Selon une étude Ifop pour « Le Courrier des maires » de novembre 2017, seulement 51 % des Français étaient capables de citer le nom du maire de leur ville. Ce taux dépassait les 85 % dans les années 1980.
Cette dégringolade tient au fait que les gens sont devenus de plus en plus mobiles. La presse quotidienne régionale qui était un relais pour les élus est, en plus, en crise. La culture politique locale des citoyens n’a sans doute jamais été aussi faible.
Avec la multiplication des outsiders, la longévité dans les postes ne sera pas un argument porteur, c’est certain.
Beaucoup de maires sortants vont chercher à faire oublier leur étiquette PS et LR. La République en Marche aura un discours pragmatique.
On va beaucoup entendre les mots « société civile » et « intérêt général ». En dehors de quelques thématiques comme l’écologie, la gratuité des services publics ou la re-municipalisation de certaines activités comme l’eau, nous allons sans doute assister à un brouillage des repères politiques sans précédent.