CETTE PEUR QUI REND BÊT
La presse, parfois, donne toutes les raisons de faire peur, de nous mettre en émoi, de nous déstabiliser. Par exemple, ce simple titre interrogatif de La Voix du Nord de ce 5 février : « Coronavirus. La communauté asiatique stigmatisée ? »
On se demande bien, en effet. Heureusement, l’article auquel renvoie cette Une nous rassure aussitôt : « Dans notre région, ce coronavirus qui contamine surtout les esprits... » Quelques jours plus tôt, le Courrier Picard ne faisait pas dans la demi mesure : « Le péril jaune » lançait-il sur fond imaginaire de musique anxiogène. Ne manquait plus que le vieux Michel Leeb pour grimacer et menacer les lecteurs des pires tourments s’il leur venait l’idée saugrenue de serrer la main au professeur de kung-fu ou de taiji quan de leur fils.
Ne rions pas. Ces derniers jours, l’hystérie collective, voire l’hystérie d’angoisse, a pris le dessus sur la raison de quelques ci-devant de ce beau pays fraternel. Ainsi de cette demandeuse d’emploi qu’un commerce asiatique s’apprêtait à intégrer dans sa masse salariale. Un principe de précaution inspiré d’on-ne- sait-qui lui a fait renoncer à son poste. Le « péril jaune », croyait-elle, était en embuscade.
Dans les magasins asiatiques, on avoue une légère baisse de fréquentation mais « rien d’alarmant » rapporte La Voix du Nord. Rien d’alarmant... à part ces deux chauffeurs Uber qui ont refusé de prendre en course deux clientes chinoises. Et puis, il y a ces riverains des Milles, à Aix-en-Provence, près du site où sont confinés des Français rapatriés de Chine. Ils ne cachent pas leur inquiétude. Il y a aussi ces médecins chinois qui pratiquent dans des hôpitaux français dans le cadre de programmes de coopération.
« Nous, ce qui nous choque en arrivant chez vous, c’est que les praticiens ne portent pas systématiquement le masque. Chez nous, cela fait partie de la culture. Que nous le portions ne doit pas vous effrayer. » Ils l’ont d’ailleurs retiré. Pour ne pas faire peur.
La peur, la pétoche, la trouille, la frousse, la stupéfaction. Voilà ce qui pourrait être qualifié de pathologie dangereuse. Par peur de l’autre, on stigmatise. Ensuite, on éloigne, et pourquoi pas, on élimine. « À l’époque de la Grande Peste, on mettait les gens en quarantaine sur des îles » , écrit Le Monde . Dans les années 2000, on rejetait les malades du Sida et on mettait les personnes séropositives en... quarantaine. D’autres racontaient qu’en leur serrant la main, la maladie se transmettrait. Il est d’autres frayeurs aussi. Celles, par exemple, des milieux d’affaires liés au commerce maritime.
« Et si l’épidémie de coronavirus venait à bloquer les ports chinois et gripper le trafic bien huilé de la noria de navires empruntant les très fréquentées lignes Asie-Europe ? (...) Si les autorités de Pékin venaient à prendre une telle décision, ses conséquences sur le commerce mondial, et notamment vers l’Europe, seraient énormes. » Lu dans le quotidien Les Échos du 5 février. La peur, la trouille, ça rend tellement con qu’on en oublie l’angoisse bien réelle des Chinois.