L’éditorial de Patrick Le Hyaric, das L’Humanité Dimanche du 09 juillet 2020
Drôle de mœurs politiques !
Quelques heures seulement avant de changer de premier ministre, le président de la République
convoque la presse régionale, chargée d’imprimer ses mots.
Ceux du sang, de la sueur et des larmes. « La rentrée sera difficile, il faut s’y préparer » :
tel est son message. Il n’a pas précisé « surtout pour les classes populaires », mais les
détenteurs de capitaux auront compris que cette prédiction ne les concernait guère.
Sans débat, sans bilan, sans analyse publique du scrutin municipal, et n’ayant retenu de ce
dernier que la forte résistance de la droite, il refuse d’écouter le grand silence des urnes
qui confine à la sécession civique. Peu lui importe l’expression majoritaire d’un peuple qui
n’est plus dupe de rien et cherche à se débarrasser d’un système qui l’étouffe et le spolie tandis
que les puissants ripaillent à la table du festin.
Le problème de M. Macron n’est pas le pays, les travailleurs, l’avenir des jeunes mais sa réélection dans deux ans
Voilà ce que cachent les mots « nouvelle phase du quinquennat ».
Il échoit à M. Castex, fortement recommandé par M. Sarkozy, de la mener à partir des
orientations du monarque et son obsession à servir les intérêts du capital, alors que les
ordonnances dérogeant au droit commun prises pendant le confinement sont toujours
en vigueur. Il s’agit d’arrimer la politique du côté droit et d’empêcher un candidat de
droite d’émerger d’ici les élections présidentielles.
La seconde signification, la plus importante et liée à la première, réside dans la volonté de renforcer
la présidentialisation du pouvoir dans des proportions jusqu’ici inconnues.Réputé fin technicien,
connaisseur des rouages étatiques, fin politique proche des territoires, M. Castex aura pour
mission de préparer les élections régionales et départementales dans la perspective de la
présidentielle.
Il n’aura pas à mettre en œuvre la politique d’un gouvernement en débat avec le
Parlement, mais bien celle décidée depuis le palais présidentiel.
La fonction constitutionnelle de premier ministre est ainsi sacrifiée à l’aune d’une prétendue
« efficacité » et au mépris des principes démocratiques.Et il faudra attendre l’adresse du
président à la nation le 14 juillet pour que le premier ministre soit autorisé à prononcer
son discours de politique générale. Du jamais vu !
C’est donc le Président, et lui seul, qui conduira la politique de la nation sans, qui plus
est, avoir de comptes à rendre devant le Parlement, de toute façon totalement
caporalisé.
Le scénario du duel Macron-le Pen va sans doute être réactivé car on sait en haut lieu la
nécessité d’un épouvantail pour garantir une réélection et surtout pour faire avaler les
destructions sociales envisagées, dont la réactivation d’une contre-réforme des retraites.
Déjà, le vieux refrain selon lequel « il n’y a pas d’argent magique » est répété en boucle
alors que des milliards ont été débloqués pour venir en aide aux grandes entreprises
qui multiplient pourtant les plans de licenciements.
Les envolées lyriques sur de possibles « nationalisations » au début de la crise sanitaire ont
laissés place au « laisser-faire » actionnarial arrosé d’argent public. Airbus, Renault,
Alcatel , Air-France, Smart, et tant d’autres : combien de salariés dans les entreprises
directement concernées et la sous-traitance vont aller rejoindre la cohorte de chômeurs sans que
l’Etat ne daigne intervenir autrement qu’en garantissant, grâce aux aides publiques, les
performances financières des grands groupes ?
Combien de jeunes sur le carreau ?
La crise sanitaire sert ainsi de prétexte pour imposer l’allongement de la durée du temps de
travail, l’une des priorités de cette fin de quinquennat, tandis que les privés d’emploi seront
amputés de leurs droits.
Le pouvoir entend ainsi mener une guerre sociale soutenue.
Pour s’y opposer victorieusement, l’été doit servir à préparer un
indispensable automne de luttes mais aussi à construire un autre cap
politique pour faire émerger une majorité de changement social, écologique
et démocratique.