Le Choc : Mourir d'enseigner…
Par l'Union, vous vaincrez toutes les haines, éloignez tous les ressentiments, soyez unis, vous serez invincibles. Victor HUGO/
Qui eût cru cela possible dans un pays comme le nôtre qui a placé l'instruction publique au cœur de son modèle ?
En assassinant sauvagement Samuel Paty, fonctionnaire de l'Éducation nationale qui ne faisait qu'exercer son métier, le terroriste a ébranlé en France dans des proportions nouvelles. Les nombreux enseignants mêlés aux milliers de citoyens réunis dans toute la France et à Paris, le 18 octobre, ont autant témoigné de leur tristesse que de leur colère, se sentant désormais, pour nombre d'entre eux qui officient dans les territoires les plus durs, cibles potentielles du fanatisme islamiste.
C'est le meurtre de trop, celui par lequel toute une société se met en branle pour protéger ses fondements. Le propre de ce type d’événements et l'une des motivations de leurs auteurs et prescripteurs sont de faire baisser pavillon à la raison pour laisser place aux mouvements d’humeur, aux répliques de colère, à la négation de la pensée.
Si les réactions populaires prouvent l'heureuse capacité d'une société à manifester son refus clair et net de la barbarie fascisante, elles ne sauraient suffire pour dépasser l'épreuve et en sortir plus haut.
Au nom d'une religion, une minorité d'incendiaires cherche à poser les fondements d'une guerre civile et religieuse, opposant les communautés des croyants à celles de la Nation, en tentant d'enfermer les musulmans de France dans une identité cloisonnée, réfractaire à la loi des hommes et au principe de laïcité.
C'est elle qui arme le bras des assassins. Les manifestations d'hostilité répétées à l'égard de Samuel Paty, organisées par des associations cultuelles réactionnaires et relatées par les réseaux sociaux, ont de toute évidence créé un terreau propice au passage à l'acte
Elle devront répondre de cette cabale organisée, et la justice devra s'attacher à remonter la chaîne des connivences qui ont actionné le main du meurtrier ? Comme à établir les négligences qui ont laissé le malheureux professeur sans protection.
Samuel Paty n'avait fait que son devoir, s'employant à faire ce que des milliers d'enseignants font, à savoir exposer les principes qui régissent la liberté d'expression en France. C'est cette tache ô combien nécessaire, et seulement elle, qui lui a valu une mort atroce. De toutes nos forces. Nous devons nous dresser pour protéger l'Education nationale et ses agents de la moindre menace.
Ils sont au cœur du pacte laïc. « La démocratie a le devoir d'éduquer l'enfance , et l'enfance a le droit d'être éduquée selon les principes mêmes qui assureront plus tard la liberté de l'homme. Il n’appartient à personne, ou particulier , ou famille, ou congrégation, de s’interposer entre ce devoir de la nation et ce droit de l'enfant », lançait Jean Jaurès lors d'un grand discours à Castres, le 30 juillet 1904.
L'animosité exprimée vis-à-vis de l'instruction publique, l'impossibilité faite à certains enseignants de prodiguer des savoirs reposant sur une approche rationnelle et scientifique sont choses inacceptables.
Il y a donc nécessité à combattre la dérive obscurantiste par laquelle est entretenue la menace terroriste. Mais comment s'y prendre ?
Pour combattre le terrorisme organisé, la France s'est dotée d'un arsenal judiciaire et policier colossal, à renforcer son renseignement. Lutter contre l’obscurantisme est chose moins évidente en démocratie. Cela appelle à mieux faire comprendre et respecter la laïcité comme condition de l'émancipation, de la démocratie, de l'exercice des droits de la personne ainsi que de « l'affirmation souveraine de l'esprit » .
C'est donc à la société dans son ensemble de se prémunir contre l’obscurantisme.
On peut douter à cet égard des annonces relatives au projet de loi dit, une fois le mot « séparatisme » supprimé, et remplacé par « renforcement de la laïcité ». La laïcité suppose une mise à distance du fait religieux. L’État n'a pas à vouloir se faire tuteur du culte, comme la présonorisé le président de la République.
C'est mêler la religion au fonctionnement de l’État. C'est en rabaisser sur le principe de la séparation instituée en 1905 et prendre des risques immenses qui menacent de s'avérer contre productifs .
Il convient d'opérer sur plusieurs fronts. Tout d'abord en menant la chasse aux organisations qui financent le fanatisme et poussent aux logique factieuses. Le droit tel qu'il existe le permet amplement. Il faut ensuite s'atteler à rebâtir une république sociale qui mette un terme à la relégation urbaine des population immigrées ou françaises ou d'origine immigrée, poussées à une solidarité intracommunautaire propice à l’enfermement dogmatique et à l'obscurantisme.
L’Éducation nationale doit être soutenue dans sa vocation universelle, protégée, dotée des moyens dont elle manque cruellement pour remplir son rôle émancipateur.
Pourquoi ne pas réfléchir à une nouvelle alliance entre la société et les enseignants afin de faire respecter leur expertise professionnelle et leur liberté de parole ?
La nécessité d'une formation à l'éducation des médias pour faire cesser cette ambiance de haine et de chasse à l'homme sur les réseaux sociaux trop souvent asociaux est à l'ordre du jour. La défense du pluralisme des médias et des expressions en leur sein, devrait accompagner une telle réflexion.
La France, enfin, doit cesser ses pas de deux avec les États théocratiques qui financent et prodiguent à travers le monde un islam fanatique à visée politique, et s'affirmer comme force de paix et de règlement des conflits, au lieu de jouer les seconds couteaux de l'OTAN dans les pays à majorité musulmane...
Ce meurtre horrible est dans doute un tournant. L'aborder avec lucidité et détermination, audace et courage, est aujourd'hui tâche urgente.