Élysée. Le président qui cache le candidat
« En tenue de campagne ou de camouflage » ... Dans un « costume » qu'il ne devrait pas porter ( Armée de l'Air).étant lui-même le « Chef de toutes les Armées Françaises »...
Où commence le candidat Macron et où termine le président ? Emmanuel Macron semble sur tous les fronts et de tous les combats, depuis la rentrée.
* Le 1er septembre : il est à Marseille pour offrir l’aide de l’État à la cité phocéenne, dans le plan « Marseille en grand ».
* Le 7 septembre : il sort un chèque de 350 millions d’euros pour redynamiser les « centralités » dans le cadre du plan « Action cœur de ville ».
* Le 10 septembre : Il annonce 600 millions d’euros pour l'indemnisation des agriculteurs victimes de catastrophes climatiques.
* Le 16 septembre : Le gouvernement promet un chèque énergie–budgété à 600 millions d’euros – à destination des ménages les plus fragiles.
* Puis : On retrouve Emmanuel Macron à Lyon, le 27 septembre, au sommet international de la restauration et de l’hôtellerie, où il promet la défiscalisation des pourboires par carte bancaire, dès 2022.
* Le lendemain : Aux assises de la santé mentale et de la psychiatrie, il annonce le remboursement prochain des consultations de psychologues.
* Le 4 octobre : Il s’offre même un déplacement dans un refuge pour chiens et chats à Gray (Haute-Saône), où il présente une aide de 15 millions d’euros pour les associations de défense des animaux, dans le cadre du plan « France Relance ».
« Le fait est qu’aujourd’hui il peut encore dépenser l’argent public sans être perçu comme candidat à la présidentielle », analyse Marie Gariazzo, directrice adjointe du département Opinion de l’Ifop. Ce n’est pas faute pourtant, pour l’opposition, de l’attaquer par cet angle. La droite lui reproche de « cramer la caisse » avec des arrière-pensées électoralistes, à l’image de la dernière loi de finances, accusée d’être un « texte à trous » au service de la campagne.
À gauche, Fabien Roussel (PCF) estime que l’hypercommunication du président signifie que « le temps des campagnes est venu ». « Hier, le “quoi qu’il en coûte” servait à sauver des emplois. Aujourd’hui, il sert à sauver Emmanuel Macron, six mois avant la fin de son mandat », considère l’écologiste Éric Piolle, quand Jean-Luc Mélenchon (FI) ironise sur le « pèlerinage des promesses » du chef de l’État.
Car l’intéressé est de tous les fronts donc, sauf, précisément, celui de la campagne présidentielle.
Du moins pas officiellement. « Le fait de retarder son annonce de candidature lui permet de rester dans le registre de l’action, de raconter ce récit d’un président jusqu’au bout dédié à son mandat, reprend Marie Gariazzo. Tout l’enjeu du gouvernement, c’est de faire des annonces qui montrent qu’il agit, tout en restant relativement consensuel. Les Français ne vont pas reprocher à Macron de faire un chèque énergie… »
Les grandes réformes néolibérales à haut potentiel explosif, comme celle des retraites, qui font la sève du projet macronien, sont en revanche remisées à un futur quinquennat.
Accusé de faire campagne sans le dire.
Cette confusion des genres entre l’agenda présidentiel et l’agenda du candidat est un grand classique de la Ve République. L’hyperpersonnalisation du pouvoir réclame des candidatures de plus en plus incarnées, et donne un avantage tactique à celui qui incarne déjà le pouvoir. À commencer par avoir la main sur les comptes publics.
En 2012, Sarkozy avait attendu février pour se déclarer officiellement, comme Chirac en 2002. « Le président UMP a d’autres chats à fouetter », justifie l’Élysée à l’époque : à l’international, déjà, avec la chute de Kadhafi que Paris suit de très près. Puis sur le plan économique, avec un nouveau plan de rigueur concocté par le premier ministre François Fillon, qui envisage une baisse du budget de la Sécurité sociale et la désindexation des prestations sociales de l’inflation. Officieusement, toutefois, les déplacements du président Sarkozy ressemblent de plus en plus à une campagne qui ne dit pas son nom.
À Toulon (Var), le 1er décembre 2011, il réunit 5 000 invités à une prise de parole présidentielle, où la plupart des militants sont acheminés en bus aux frais de l’Élysée. La stratégie préfigure la boulimie de meetings qui accouchera de l’affaire Bygmalion.
Les socialistes crient alors à la « confusion des genres » et à la « campagne dissimulée ». Ils saisissent la Commission nationale des comptes de campagne, qui finit par déclarer qu’elle prendra en compte tout déplacement présidentiel dans lequel Nicolas Sarkozy évoquerait un programme de candidat.
Jusqu’ici, même s’il est accusé de faire campagne sans le dire, Emmanuel Macron a évité ce genre d’écueil trop évident. Car il a tout intérêt à rester hors de la mêlée, y compris au sein de la maison macroniste. Au point d’avoir l’air de délaisser son propre parti qui, lui, a pourtant bien démarré sa campagne.Selon « Le Parisien », le délégué général de la République en marche, Stanislas Guerini, a organisé, à la mi-septembre, une première levée de fonds auprès, entre autres, du cercle des donateurs de 2017, dans le 8e arrondissement de Paris. Pour autant, Emmanuel Macron ne s’est pas rendu aux événements de rentrée organisés par LaREM, que ce soit les journées parlementaires du mouvement à Angers, les 5 et 7 septembre, ou son campus de rentrée, à Avignon, les 2 et 3 octobre.
À son état-major de se mettre en ordre de marche. « Le seul sujet qui doit nous préoccuper est la réélection du président de la République – bien qu’il ne soit pas, pas encore du moins, candidat », a ainsi martelé le patron des députés LaREM, Christophe Castaner, à Avignon, alors que le slogan « Cinq ans de plus ! » a rythmé le campus.
Pour Emmanuel Macron, la République en marche, qui a échoué à s’ancrer et à lui offrir des relais au niveau local, ne présente pour le moment qu’un intérêt limité. Les électeurs ne sont de toute façon pas attachés aux partis (84 % des Français ne leur font pas confiance, selon Ipsos), dans une précampagne qui reste, à cette heure, très peu mobilisatrice. Il y a décorrélation entre l’intérêt pour des thématiques, comme l’écologie, et ceux supposés être leurs représentants.
Le chef de l’État a évité une concurrence venue de son camp
Et le président de prendre, à moindres frais, de la hauteur. Car, parallèlement, ses oppositions de tous bords étalent publiquement leurs fragilités et divisions.
À gauche, on s’achemine vers quatre ou cinq candidats et, au vu des controverses entre Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg, Fabien Roussel et Anne Hidalgo (contestée au PS par certains « éléphants » historiques), le « pacte de non-agression » a déjà fait long feu.
Quant aux écologistes, ils sortent à peine de leur primaire, et la victoire de Yannick Jadot n’a pas cautérisé les fractures historiques des Verts. La droite « traditionnelle », elle, est toujours dans l’attente d’un candidat.
Enfin, même à l’extrême droite, le RN s’affole à mesure que sa manne électorale semble s’étioler au profit d’une hypothétique candidature d’Éric Zemmour. Tandis que, dans son couloir, Emmanuel Macron reste « indisputé . » « La leçon du quinquennat, c’est que le bloc électoral qu’il a constitué autour de lui a bien tenu, analyse le politologue Jérôme Sainte-Marie. C’est-à-dire ce qu’on pourrait appeler la « classe managériale », le monde des cadres – privés et publics – des gagnants de la mondialisation, des petits chefs.
Et en plus Macron a évité le pire de ce qui pouvait lui arriver : une concurrence venue de son propre camp. » Édouard Philippe a en effet assuré Emmanuel Macron de son soutien.
Reste que la dernière année d’un quinquennat est un virage douloureux à négocier pour un président en exercice. Surtout s’il a pour ambition de briguer un second mandat. Emmanuel Macron le sait bien. Depuis de Gaulle, aucun président en exercice bénéficiant d’une majorité sortante n’a réussi à être réélu (Mitterrand et Chirac étant en cohabitation).
par Cyprien Caddeo - L'Humanité