Énergie. À l’approche de 2022, l’éolien fait tourner les têtes
A l'approche des élections de 2022, la droite et son extrême deviennent-ils
des « Don Quichotte de la Manche ».
Qui va joué le rôle de Sancho Panza dans cette fourmilière droitière ?
Ces pylônes haute ou très haute tension et les câbles, en montagne ou en campagne : est-ce mieux que des «moulins à vent »?
Les droites ont décidé de faire de cette énergie un thème de campagne, en récupérant les colères qui s’expriment localement. Face à cette démagogie, la gauche, qu’elle soit pour ou contre, peine à faire entendre ses arguments.
«Une catastrophe », « La grande imposture », « Une négation de l’écologie », voire carrément « La peste éolienne » : les attaques caricaturales ne manquent pas contre l’éolien. Pendant l’été, avec toute la mesure qu’on leur connaît, le « Figaro Magazine » et « Valeurs actuelles » lui ont même consacré leur une pour lui déclarer la «guerre » et commencer à organiser la « résistance ».
Un temps perçu comme la panacée pour produire de l’électricité verte à l’heure du dérèglement climatique, l’éolien n’a clairement plus le vent en poupe. Le sujet s’était déjà fait une place dans la campagne des régionales en juin, sans qu’il ne s’agisse d’une compétence directe des exécutifs régionaux.
Voilà que cette énergie renouvelable localement contestée s’invite dans le débat de la présidentielle comme un thème d’ampleur nationale. Un vent de discorde soufflé par la droite et l’extrême droite, alors qu’Emmanuel Macron entend faire passer, dans le mix électrique, l’éolien de 8 % aujourd’hui à 20 % d’ici à 2028 en faisant preuve d’un « pragmatisme au cas par cas ». Donc, passer de 8 000 à 15 000 mâts, principalement en mer, en sept ans. La ministre de l’Écologie, Barbara Pompili, a d’ailleurs présenté, mardi, dix mesures pour atteindre cet objectif et faire retomber la pression.
« Par le passé, le débat sur les questions énergétiques a pu être vif à l’approche d’une présidentielle, comme en 1981 à propos de la construction du parc nucléaire, rappelle Alexis Vrignon, historien spécialiste de l’énergie. Après l’adoption du protocole de Kyoto, en 1997, la problématique climatique a été mise sur la table, et l’éolien est peu à peu devenu une question industrielle, avec le développement de l’éolien offshore. Aujourd’hui, le rejet de cette énergie, ( principalement local ), est du même type que celui concernant le nucléaire à l’époque, sans la dimension sanitaire. »
L’enseignant-chercheur à Pau estime que l’élection d’avril « peut structurer les discours de contestation », d’autant que les agriculteurs et les pêcheurs, souvent opposés aux projets, jouent historiquement un « rôle pivot » dans le succès des mobilisations. « Or, ils sont très écoutés par la droite », affirme-t-il.
Une façon presque poujadiste de confisquer le débat.
Ces dernières semaines, droite et extrême droite ont pris à bras-le-corps cette fronde anti-éolien, qui s’est trouvé un porte-parole pour le moins original en la personne de Stéphane Bern. « L’énergie éolienne pollue gravement la nature et détruit le patrimoine naturel et bâti de la France, ces sites remarquables de beauté et ces joyaux architecturaux dont nous sommes collectivement dépositaires et que les éoliennes défigurent », s’agace l’animateur du service public.
Celui qui assure au Figaro avoir le soutien officieux du couple Macron sent le « mal-être » monter, bien que, selon la sondeuse de l’Ifop Marion Chasles-Parot, « les trois quarts des Français ont une bonne image de l’éolien ». « L’opinion sur la question est versatile, tempère-t-elle . Elle se fait en fonction des lieux d’installation (52 % des sondés sont défavorables aux éoliennes en mer dans les zones protégées, contre 29 % pour – NDLR) mais aussi du bruit médiatique. »
Puisque ceux qui crient le plus fort sont les plus entendus sur la question, l’extrême droite a décidé de hurler, reprenant en boucle le même argument esthétique que Stéphane Bern.
Un objectif : capter une partie de la colère qui s’exprime localement. Marine Le Pen exige ainsi un « moratoire » sur la construction de ces moulins à vent parfois hauts de 150 mètres, estimant, dans une tribune, qu’il est « inconcevable de détruire au nom de l’écologie le cadre de vie de nos concitoyens ». « Les éoliennes sur terre ou en mer n’ont plus leur place dans notre pays ! » tranche la candidate du RN. Cette dernière est rejointe dans son combat par Éric Zemmour, qui, lors de son débat contre Jean-Luc Mélenchon sur BFMTV, a tenu à « dire tout le mal » qu’il pensait des éoliennes, sans argumenter sur le fond.
Il faut également croire que l’éolien permet l’union des droites contre lui. « On est en train de massacrer les paysages sans rien dire. Non, pas n’importe où, pas n’importe comment. Tout cela nous coûte un argent fou. L’éolien, il y en a marre ! » s’énerve Xavier Bertrand, prétendant à l’Élysée et président de la région des Hauts-de-France, qui compte 2 500 mâts sur son territoire et qui veut financer les associations menant des recours administratifs contre les nouvelles installations.
Le groupe LR à l’Assemblée nationale profite d’ailleurs, ce jeudi, de sa niche parlementaire pour défendre un texte pour « dire stop à la prolifération anarchique des éoliennes ».
Une façon presque poujadiste de confisquer le débat en opposant les urbains et les ruraux, les gros et les petits, l’État et le peuple : « L’éolien se développe dans notre pays sous l’effet d’une perfusion massive de financements publics », écrivent plusieurs élus pour justifier, eux aussi, un moratoire.
En filigrane, la question du rapport au nucléaire.
« Ce sont des arguments classiques qui jouent sur le ressort nostalgique, comme si les paysages ruraux ou en bord de mer n’avaient jamais changé. Mais leur combat démontre aussi un attachement à l’industrie nucléaire, symbole de la puissance française », constate Alexis Vrignon.
Est-ce une bonne stratégie ? Pas forcément, à en croire Marion Chasles-Parot, de l’Ifop : « La contestation ne vient pas forcément de la construction en elle-même mais plutôt de la prise de décision verticale par des personnes qui ne résident pas sur ces territoires. On observe d’ailleurs que les riverains des éoliennes considèrent a posteriori que la gêne n’est pas si importante. »
Pour autant, il ne s’agit pas ici d’affirmer que l’éolien ne pose pas nombre de questions légitimes. Faut-il encore que les arguments de fond puissent se frayer un chemin entre les gesticulations…
Sur le sujet, la gauche est éparpillée aux quatre vents, aussi divisée que difficilement audible. D’abord, un constat : « Les plus jeunes et les électeurs de gauche sont les plus enthousiastes sur l’éolien », indique la sondeuse. Toujours est-il que, entre les formations progressistes, le schisme est bien réel puisque se pose en filigrane la question du rapport au nucléaire. D’un côté, se trouvent les communistes et Arnaud Montebourg ; de l’autre, les écologistes et les insoumis. Les socialistes se situent dans un entre-deux : « Utilisons toutes les sources d’énergie décarbonées, y compris le nucléaire. Mais il faut aussi plus d’éolien dans le mix électrique », explique Alain Delmestre, secrétaire national à la transition écologique.
« Nous voulons sortir du nucléaire, qui n’est pas une énergie pilotable car elle produit en continu. C’est pourquoi il faut multiplier le renouvelable, dont l’éolien. Mais c’est à la puissance publique de porter ces projets », assume le député FI Loïc Prud’homme.
« Puisqu’on n’a plus de marge de manœuvre sur l’hydraulique, on a besoin de l’éolien. C’est le maillage territorial qui fera la solidité énergétique », pense Éva Sas, proche de Yannick Jadot, candidat EELV pour 2022. Elle reconnaît néanmoins que l’éolien peut poser problème, notamment par son impact sur la biodiversité : « Il faut prendre en compte ces arguments, non pas pour tout stopper, mais pour améliorer l’éolien. Il nous faut des éoliennes démontables et les arrêter aux heures de passage des oiseaux. Tout doit se faire de façon décentralisée avec les collectivités et les citoyens. »
« Pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, l’électricité va jouer un grand rôle, pose de son côté Amar Bellal, ingénieur et membre du Conseil national du PCF. C’est pour cela qu’il va nous falloir des énergies pilotables comme le nucléaire et l’hydraulique, car on ne sait pas stocker massivement de l’électricité. L’éolien est trop intermittent et prend beaucoup d’espace. Le jeu en vaut-il la chandelle ? »