Picasso, cet étranger…
Jusqu’au 13 février 2022 le Musée national de l’histoire de l’immigration au Palais de la Porte Dorée à Paris, consacre une exposition à un célèbre « sans-papiers » : Pablo Picasso.
On découvre, en visitant l’exposition « Picasso l’étranger », comment pendant 40 ans, Pablo Picasso sera considéré par les administrations françaises comme « un intrus, un étranger, un homme d’extrême gauche, un artiste d’avant-garde » … Ainsi, l’artiste de génie, dont l'œuvre majeure est aujourd’hui reconnue et admirée dans le monde entier, a été rejeté par notre pays. Picasso, adversaire résolu de Franco, n’a jamais pu devenir Français parce que considéré comme anarchiste, ayant trop d’amis juifs…
Après l’attribution du prix Goncourt à Mohamed Mbougar Saar, pour son roman « la plus secrète mémoire des hommes » éditions Philippe Ret/Jimsaem, que j’ai salué ici même la semaine dernière, l’exposition « Picasso l’étranger » constitue une bouffée d’air frais contre les effluves crachées sur certains plateaux de télévisions et de radios.
Conçue par l’historienne Aline Cohen-Solal, cette exposition fait suite à son livre Un étranger nommé Picasso (fayard, avril 2021) fruit de six années de recherches acharnées.
En parcourant, le contenu des documents administratifs concernant Picasso, on ne peut qu’avoir mal à la France. On ne peut à cet instant que penser au sort réservé à la multitude refoulée en ce moment aux bans de notre société et aux frontières de l’Europe.
On ne peut que méditer sur ce prénom Pablo, qui serait interdit aujourd’hui par la volonté d’un sinistre histrion promotionné, en continu et aux heures de grandes écoutes, pour être candidat à la présidence de la République française.
Ainsi, dès 1901, Pablo Picasso est fiché comme anarchiste. En mai 1940, sa demande de naturalisation est rejetée. Violemment attaqué par la presse pétainiste, surveillé par la Gestapo, certaines de ses œuvres seront détruites comme celle d’André Masson, Joachim Miro, Paul Klee, Max Ernst…
Picasso sans papier !
Picasso rejeté, maltraité avec des dizaines d’actrices et d’acteurs de la vie artistique française bannis, arrêtés, déportés, comme son ami Max Jacob, mort à Drancy quelques heures avant sa déportation programmée vers Auschwitz. Aux côtés de Picasso, parmi ses amis, on retrouve engagés aux côtés de la Résistance, Robert Desnos, Victor Brauner, Hans Bellmer, Henri Matisse, Pierre Bonnard, Jean Cocteau, Fernand Léger, Louis Aragon.
L’art et la culture, la liberté de création, font toujours peur aux dictateurs, aux puissants… À ceux-là même qui aujourd’hui font grand commerce des œuvres de Picasso. Drôle de retournement de l’histoire !
Picasso et son immense œuvre ne seront reconnus par le pouvoir en France qu’en 1966 lors d’une rétrospective de son travail, inaugurée à l’époque par André Malraux, alors ministre de la Culture.
Une question doit aujourd’hui nous tarauder. À combien de Picasso les portes sont-elles fermées aujourd’hui ? Combien de Pablo sont rejetés à la mer au nom d’une prétendue lutte contre « le grand remplacement » ?
Ce raz-de-marée prédit par les cercles de la droite extrême et de l’extrême droite jusque dans certains ministères (et pas des moindres) aujourd’hui infectés par le virus de telles idées !
L’exposition « Picasso l’étranger », relatant le parcours chaotique du grand peintre face aux administrations françaises, nous invite à méditer également sur son cheminement vers le parti communiste, dont il a toujours été proche. « Je suis venu au communisme comme on va à la fontaine » dira-t-il.
Membre du parti communiste clandestin en 1942, il y adhère au grand jour en 1944, par l’entremise de son ami le poète Paul Eluard. Le 5 octobre 1944, l’Humanité consacre la moitié de sa une à cette adhésion où une photo montre Picasso en compagnie de Jacques Duclos et Marcel Cachin, alors directeur du journal.
« En attendant que l’Espagne puisse enfin m’accueillir, le parti communiste m’a ouvert les bras, j’y ai trouvé tous ceux que j’estime le plus, les plus grands savants, les plus grands poètes et tous ces visages d’insurgés parisiens si beaux, que j’ai vus pendant les journées d'août. Je suis de nouveau parmi mes frères », écrit Picasso, le 29 octobre 1944, dans l’Humanité.
En quelques mots, l’artiste définissait l’essence même du parti communiste. Le parti de la résistance, le parti internationaliste, bras ouvert aux ouvriers, paysans et créateurs venus d’ailleurs, le parti des savants, des penseurs, des intellectuels et des créateurs.
Comme tant d’autres, Picasso enrichissait d’un même mouvement son parti et la France.
Avant d’aller voir « Picasso l’étranger » au Musée national de l’histoire de l’immigration, il est bon de relire « Novembre 1936 », ce cri de colère poétique de Pablo Picasso écrit après les bombardements aériens sur Madrid :
« Regardez travailler les bâtisseurs de ruines
Ils sont riches, patients ordonnés noirs et bêtes
Mais ils font de leur mieux pour être seuls sur terre
Ils sont au bord de l’homme et le comble d’ordures
Ils plient au raz du sol des palais sans cervelle
On s’habitue à tout
Sauf à ces oiseaux de plomb
Sauf à leur haine de ce qui brille
Sauf à leur céder la place »
par Patrick Le Hyaric