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Cellule PCF ''Plantive'' de Saint-Saulve

Ventes d’armes aux Émirats arabes unis : « Une opération à haut risque pour la stabilité du Moyen-Orient »

10 Mars 2022, 17:21pm

Publié par Cellule PCF de Saint-Saulve

Jamal Khashoggi, journaliste saoudien critique du régime, a été tué le 2 octobre dans le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul par un commando d'agents venus de Ryad.

Jamal Khashoggi, journaliste saoudien critique du régime, a été tué le 2 octobre dans le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul par un commando d'agents venus de Ryad.

Les USA, « gendarmes du monde (dit civilisé) de tout temps », de Trump ou de Biden... eux qui fournissent les armements sophistiqués aux régimes dictatoriaux occidentaux ainsi qu'aux puissances pétrolières du Moyen-Orient, qui assassinent les journalistes ainsi que les opposants des régimes en place.

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Andreas Krieg * et Sébastien Boussois * voient d'un mauvais œil l’accord sur les armes d’un montant de 23 milliards de dollars que les États-Unis ont passé avec les Émirats arabes unis.

Le débat sur la vente d’avions F-35 aux Émirats arabes unis par les États-Unis a été hautement politisé à Washington – essentiellement hélas pour de mauvaises raisons. Au nom de la stabilité et de la sécurité régionales, le président élu Biden devrait reconsidérer la vente de telles armes sophistiquées au plus grand perturbateur de la région que sont les Émirats arabes unis.

Le 10 décembre dernier, le Sénat américain n’est pas parvenu à bloquer l’accord sur les armes d’un montant 23 milliards de dollars avec les Émirats arabes unis, qui faisait partie intégrante de la stratégie de l’administration Trump pour inciter Abu Dhabi à signer les accords d’Abraham avec Israël.

Le débat sur la vente des F-35 aux EAU a été très controversé à Washington. Le refus des sénateurs démocrates de valider la vente d’armes était essentiellement politique, car elle était un nouvel accord transactionnel de plus du président Trump contre lesquels ils se sont toujours offusqués.

Ce qui a été largement négligé, c'est que les Émirats, contrairement à l'Égypte, à l'Arabie saoudite ou à d'autres partenaires américains dont le bilan des droits de l'homme est discutable, sont devenus un acteur de plus en plus déstabilisateur dans la région, ne répondant que de manière hésitante, voire pas du tout, à la pression et aux injonctions de Washington.

CAMPAGNE CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE.

L'ascension rapide d'Abu Dhabi, en tant que puissance du Moyen-Orient après les « Printemps arabes », a transformé le petit État conventionnel jusque-là en un acteur sûr de lui et indépendant, diversifiant ses partenariats au-delà même de son intégration occidentale. Les quatre dernières années ont permis au prince héritier d'Abu Dhabi et dirigeant de facto Mohammed ben Zayed (MbZ) d'exploiter le caractère transactionnel de l'administration Trump pour étendre l'empreinte émiratie à travers la région sans qu'aucune condition préalable ne soit jamais imposée par Washington. Défendant les principaux objectifs régionaux de la Maison-Blanche de Trump, à savoir la campagne de pression maximale contre l'Iran et le soutien inconditionnel à Israël

Les Émirats arabes unis ont en retour reçu un laissez-passer des États-Unis pour poursuivre leur campagne contre-révolutionnaire entamée depuis 2011.

La poursuite d’Abou Dhabi du principe de la « stabilité autoritaire » au Moyen-Orient n’est pas seulement contraire aux valeurs libérales américaines, mais elle a même sapé la position de l’Amérique dans la région alors que les Émirats arabes unis approfondissaient leur intégration avec des régimes partageant les mêmes idées en Russie et en Chine.

Les transferts de technologie de la Chine vers les Émirats arabes unis dans le domaine de la cyber intelligence artificielle (IA) ont permis à Abu Dhabi de devenir la plus importante puissance d'information de la région - souvent dirigée contre la société civile au pays et dans le monde arabe au sens large.

La coopération avec Moscou s’est encore plus approfondie depuis alors qu’Abu Dhabi a payé des mercenaires russes en Libye, soutenu la réhabilitation par la Russie du régime d’Assad en Syrie et fourni des voies d’accès pour la Russie au sud du Yémen.

 

« Les Émirats ont violé les accords d'usagers finaux américains en faisant proliférer illégalement les armes américaines dont certaines se sont retrouvées entre les mains de groupes liés à        Al-Qaïda »

De plus, les EAU ont utilisé leur puissance aérienne - que cet accord d'armement américain a l'intention d'élargir - contre des cibles civiles en Libye et au Yémen - dans certains cas délibérément. En tant que puissance extérieure la plus impliquée dans la guerre civile en Libye, les Émirats arabes unis ont violé les embargos sur les armes, constitués leur propre force de substitution de milices contre-révolutionnaires, l'Armée nationale libyenne autoproclamée (LNA), et utilisé du matériel militaire également des États-Unis, pour frapper les combattants et les civils afin de renverser la vapeur en faveur du chef de guerre Haftar.

Au Yémen, Abu Dhabi maintient l'un des plus importants contingents de mercenaires au monde, dont certains ont été impliqués dans des programmes d'assassinats contre des chefs de milices soutenues par les Émirats.

Plus important encore, les EAU ont violé les accords d'usagers finaux américains en faisant proliférer illégalement les armes américaines dont certaines se sont retrouvés entre les mains de groupes liés à Al-Qaïda.

Le vaste réseau de (dés) information d'Abu Dhabi à Washington, dirigé par l'ambassadeur émirati Otaiba, a quant à lui passé sous silence les crimes de guerre et les violations des droits de l'homme des EAU, en détournant l'attention au Yémen vers l'Arabie saoudite et en Libye vers la Turquie rivale.

Contrairement à d'autres partenaires américains, cependant, où les ventes d'armes américaines sont de plus en plus surveillées, comme l'Arabie saoudite ou l'Égypte, les  Les Émirats arabes unis réagissent mal à la critique de leur partenaire principal. Alors que l'Arabie saoudite et l'Égypte ont tenté dans le passé de trouver des moyens d'améliorer leur réputation à Washington, les Émirats arabes unis, en plus de faire circuler des récits tous plus mensongers les uns que d'autres, affrontent les critiques de front sans se dégonfler pour autant.

Au lieu de céder à la pression américaine, Otaiba a déclaré la semaine dernière que les EAU avaient d'autres options si les États-Unis décidaient de ne pas vendre les fameux F-35.

               INFLUENCE DE WASHINGTON QUASI NULLE.

Riyad, qui a subi des pressions similaires ces dernières années, pour crimes de guerre et graves violations des droits humains, tente maintenant d'acheter des faveurs auprès de la nouvelle administration Biden en faisant preuve de bonne foi pour trouver une solution à la crise du Golfe et du Yémen. Abu Dhabi, qui est pourtant le principal coupable de la guerre idéologique avec le Qatar depuis 2017, montre une réelle indifférence diplomatique à l’effort américain pour trouver une solution au problème.

Également au Yémen, où l'Arabie saoudite cherche des voies et des moyens pour trouver une solution holistique à cette guerre multipolaire, les EAU accentuent leur politique de division pour mieux régner, renforcent leurs substituts locaux, exacerbant ainsi la polarisation et la division dans le pays.

Par conséquent, bien que ce ne soit pas la première fois qu'une conditionnalité liée aux droits de l'homme pourrait ne pas être appliquée par les législateurs américains dans  ce qui est clairement un débat politisé sur les ventes d'armes à un partenaire du Moyen-Orient, c'est la première fois que l'influence de Washington sur ce partenaire semble quasi nulle.

Le petit État du Golfe semble assez confiant pour faire cavalier seul, ignorant les préoccupations américaines à plusieurs reprises alors que ses relations avec les rivaux régionaux américains, la Russie et la Chine, se réchauffent. Si cette vente d'armes devait finalement être approuvée, les États-Unis soutiendraient effectivement et sans complexes l'État arabe le plus perturbateur du moment.

 

* Andreas Krieg, professeur assistant au Kings College (Londres)

* Sébastien Boussois, chercheur en sciences politiques associé à l’ULB (Bruxelles)

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