Colonel Michel; Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF)
Article de Bernard Défontaine, publié dans La Voix du Nord le 18 mai 2016
À la veille de la journée nationale de la Résistance, qui se tiendra le 27 mai pour la troisième fois et donnera lieu dans sa ville à une exposition, le maire de Marly a tenu à saluer la mémoire de son père, Eugène, qui était dans la Résistance le « colonel Michel » dirigeant l’interrégion FTPF à la Libération.
Une vie aussi riche sans en laisser une trace ? Dirigeant syndical, déporté politique, commandant de l’interrégion FTPF à la fin de la guerre, député suppléant. Eugène Thiémé, alias le colonel Michel, aurait eu, oui, de quoi écrire un livre. Pour sa descendance, il a rempli quelques feuilles de ses souvenirs à 80 ans – il est décédé neuf ans plus tard, en 2000. Initié très jeune à « la défense de la condition ouvrière » par un père socialiste et libre penseur, il décrit la « vie difficile de militant syndical et communiste », une vie qui pouvait conduire alors à perdre son travail pour ses idées. En 1928, Eugène Thiémé, qui avait 17 ans, travaillait à la fosse de Fresnes : « L’exploitation des mineurs était féroce. On y vivait vraiment l’exploitation de l’homme par l’homme », évoque-t-il. Il en fut licencié, déjà, « après une violente altercation avec un porion ». Ayant adhéré au Parti en 1929, il vendait la presse communiste à la criée. Les patrons faisant la chasse aux militants communistes, il en était arrivé à travailler pour les « marchands d’hommes » qui réglaient journellement le salaire « sans garantie d’embauche pour le lendemain ». Entré à la soierie d’Odomez, il forma un syndicat adhérant à la CGTU... et fut licencié. Il participa aux comités antifascistes. « Les gens de ma génération ont toujours en mémoire cette année inoubliable que fut 1936 » : son syndicat de la soierie passa en quelques jours d’une trentaine de syndiqués à 1 300, pratiquement la totalité du personnel. « Je fus comblé. »
Survint la guerre. Prisonnier en juin 1940, Eugène Thiémé s’évada une première fois. Arrêté par la Gestapo en avril 1941, il fut interné à la citadelle de Huy (B) et s’en évada en mai 1942. Il gagna l’Ain, entra dans la lutte armée clandestine, remonta sur Paris puis dans le Nord. Stalingrad, évoquait-il dans Liberté Dimanche du 6 septembre 1964, « fut pour tous une immense espérance. La preuve était faite désormais que l’Allemagne hitlérienne n’était plus invulnérable ! » Dans les derniers mois précédant la libération, on assista à une levée en masse des patriotes et des républicains. Une grande armée de la résistance intérieure se constituait. À la tête de l’interrégion Nord-Pas-de-Calais-Aisne-
C’est la mémoire de cet homme que Fabien Thiémé, son fils, veut saluer, dans un but : « Mon père s’est battu aux côtés des gaullistes et des chrétiens, avec lesquels les communistes partageaient des valeurs. Face à la montée du FN, ce sont ces valeurs de la république qu’il faut plus que jamais défendre, en considérant la diversité comme une richesse. »
Toute une vie au service du Parti
Des enfants bien nommés. Né le 1er février 1911 à Fresnes-sur-Escaut, Eugène Thiémé avait épousé le 23 septembre 1933 Adèle Zgraja, d’origine polonaise, qui lui a donné cinq enfants. Leurs prénoms ont une signification particulière, hormis Lilianne, qui devait en porter un autre, refusé par les sœurs : Michel, pour le colonel Michel, son père ; Lucien, en souvenir de Lucien Lypka, originaire de Bruay-Thiers, mort à 16 ans en déportation ; Marie-Claude, en référence à Marie-Claude Vaillant-Couturier, déportée à Ravensbrück ; Fabien enfin, pour Pierre Georges, dit colonel Fabien, militant communiste et résistant. La famille a aussi accueilli pendant la guerre d’Espagne un petit réfugié, Angel Zapiko, dont Fabien Thiémé dit qu’il était « comme notre frère aîné ». En sa mère, il salue une femme « toujours restée dans l’ombre d’un mari à forte personnalité dont elle a partagé toutes les souffrances ».
Aux arrêts. Après la guerre, devenu militaire d’active avec le grade de capitaine, l’ex-colonel Michel fut affecté en Indochine. Ayant refusé d’incendier un village avec ses habitants, il fut mis aux arrêts de rigueur et rejoignit aux grandes écuries de Versailles 350 officiers communistes sans commandement.
« Dangereux meneur ». Au sujet d’Eugène Thiémé, vainement recherché au lendemain de son évasion de la citadelle de Huy, en 1942, le commissaire principal, chef des services de police de l’arrondissement de Valenciennes, écrit, dans un courrier adressé aux autorités : « Il est incontestable que cet individu est un dangereux meneur qui va s’efforcer de reprendre sa place au sein de l’organisation communiste clandestine. » Ce qu’il fit, en effet.
Député suppléant. Eugène Thiémé, qui côtoya des personnalités comme Martha Desrumaux ou le colonel Rol-Tanguy, qui fit dès 1937 un voyage en Russie comme délégué du Parti communiste, fut de 1962 à 1968 le suppléant du député Georges Bustin, ouvrant la voie à son fils Fabien, lui-même suppléant de 1981 à 1986 puis député de 1988 à 1993.
Légion d’honneur. Chevalier de la Légion d’honneur depuis 1946, il a été fait officier en 1993, des mains de Gaston Plissonnier, figure historique du PCF.
