FAMILISTÈRE DE GUISE :
En ce temps là les rapaces ne cherchaient pas les dividendes, mais il existait quand même des patrons sociaux., à l'exception de certains maîtres des forges ou des patron miniers !
Par Cédric Dematte – Liberté hebdo
Parmi les derniers déconfinés, le secteur de la culture est pourtant essentiel afin de
penser « le monde d’après ». Aussi, nous vous proposons de parcourir un musée
emblématique des Hauts-de-France. Partons en voyage, en utopie, dans le nord de
l’Aisne, en Thiérache, à Guise. Et visitons un lieu de patrimoine prospectif : le
Familistère.
Jean-Baptiste André Godin, fils d’ouvrier serrurier, bâtit de 1859 à 1884, à proximité de
son usine de poêles en fonte, une cité de 2 000 habitants :
Le FAMILISTÈRE
Ce lieu est nommé Familistère en référence au phalanstère du philosophe Charles
Fourier. Godin le nomme également « Palais social » ou « Palais du travail ». C’est
l’une des réalisations les plus emblématiques de l’ère industrielle. Ce lieu, ces services,
ces usines seront gouvernés par une association coopérative ouvrière jusqu’en 1968.
Chez Godin, on gagne mieux sa vie qu’ailleurs. On travaille moins et on gagne plus. On achète en grande quantité les produits dont la communauté ouvrière a besoin et on
les revend aux économats à un prix moins cher. Il n’y a pas d’enfants qui travaillent à
l’usine, ils vont dans une école gratuite, laïque, mixte (dix ans avant les lois Ferry). Ces
écoles entourent un théâtre où les enfants ont un accès direct qui leur permet de
réciter une poésie ou de prendre des cours de déclamation. Côté santé, un système de
soin est organisé : une Sécurité sociale avant l’heure !
Des logements lumineux, spacieux, organisés autour d’espaces communs,
avec des commodités qui existent peu à cette époque, que l’on soit ouvrier
ou non. Godin veut partager les richesses et ses équivalents : santé, hygiène,
culture, sport, éducation.
Ce dernier, pour Godin est le plus important, lui qui aurait voulu être enseignant. Sa
compagne, Marie Moret, invente un système qui prendra en charge l’éducation des
enfants et des jeunes dans tous ses âges, de la petite enfance à l’apprentissage voire
jusqu’à l’enseignement supérieur.
La compagne de Godin n’est pas que « femme de », elle travaille et conçoit des
pédagogies innovantes. Godin est féministe et il pense donc que la femme est l'égal
de l’homme. Au Palais social, les femmes pourront travailler de leur propre chef et
auront leurs instances de décision.
Elles auront également le droit de vote dans l'association coopérative au même titre
que les hommes.
Le Familistère est un exemple, une référence pour qui veut étudier l’architecture et les
organisations humaines.
Techniquement, les bâtiments pensés par Godin, qui n’est pas architecte,
traduisent les valeurs qui l’animent : le féminisme, l’égalité, l’unité, la
coopération, la justice sociale.
Ses préoccupations sont pleinement ancrées dans son époque. Au 19ème siècle aussi,
des épidémies déciment des pans entiers de population en Europe et dans le monde.
Pour relever le défi hygiéniste, il y a bien sûr son système de soin. Mais Godin va avoir
cette préoccupation dans bon nombre de ses réalisations
Les appartements sont pensés afin que l’hygiène soit de rigueur. Des appartements tr
traversants avec de nombreuses fenêtres pour ventiler son logement. Les verrières des
cours intérieures autorisent la circulation de l’air. Des points d’eau (chaude et froide) s
sont présents à chaque étage. Des trappes à balayures (ancêtre du vide-ordure)
permettent de permettent de récupérer des saletés et des petits déchets qui sont
compostés et réutilisés au jardin.
Et les règles de vie sont aussi mises en place. Godin ne s’arrête pas aux appartements
sur la question de l’hygiène et de la santé. Il crée un bâtiment remarquable dédié à
cette question: une buanderie piscine.
Ce bâtiment recycle les eaux de refroidissement de la fonderie, et offre de
l’eau chaude gratuite aux habitant·es du Palais social.
Il accueille en son sein un espace dédié au lavage et au séchage du linge. Il permet de
faire bouillir le linge et de le sécher dans de bonnes conditions sanitaires. Ce bâtiment
permet également une certaine reconnaissance du travail domestique des femmes.
Dans ce lieu, il y a un espace piscine qui permet aux habitant·es du Familistère de
prendre des douches et d’apprendre à nager grâce à un astucieux plancher
escamotable.
Cette utopie réalisée a été gouvernée de manière coopérative par les ouvriers pendant
presque un siècle
A l'heure de cette crise sanitaire, écologique et économique, se posent de
nombreuses questions. Une sortie au Familistère de Guise redonne du baume
au cœur et invite à repenser le monde. Si vous y passez, attardez-vous sur le
livre d’or pour y lire les commentaires de visiteuses et visiteurs militant·es,
nombreux à penser qu’il est nécessaire de reprendre le chemin des communs.