L’éditorial de L’Humanité Dimanche du 21 janvier 2021
par Patrick Le Hyaric.
Les froids fondés de pouvoir du monde capitaliste adorent se draper de responsabilité et… d’efficacité. Même quand les faits tendent à prouver l’irresponsabilité d’une logique qui s’oppose en tout point à l’intérêt général et plonge l’humanité dans des impasses mortifères.
La pandémie en offre de saisissants exemples. Les regards se braquent, à juste titre, sur la santé, que l’accaparement par la finance ces dernières décennies a rendu imperméable aux exigences sociales, sanitaires et démocratiques. La course au vaccin n’est que l’ultime manifestation de cette irresponsabilité qui se paie aujourd’hui en vies humaines, en souffrances et désastres psycho-sociaux, en crise sociale et économique.
La France avait su se doter, grâce au volontarisme de la puissance publique, d’un secteur de la santé puissant, envié et souvent copié à travers le monde. L’un de ses fleurons, Sanofi, s’est construit grâce aux compétences exceptionnelles acquises par des ingénieurs et chercheurs, à une tradition scientifique rigoureusement transmise, au travail des salariés et avec l’aide d’un État planificateur et généreux. Son introduction en bourse au début des années 80 s’est traduite par une activité frénétique de rachats. La grenouille s’est faite bœuf en licenciant à tour de bras tandis qu’elle élargissait son domaine d’activité, tout en satisfaisant les marchés financiers auxquels elle s’est liée pieds et poings.
Sur les dix dernières années, Sanofi a ainsi licencié la moitié de ses chercheurs dans le monde et en France, soit deux mille d’entre elles et eux pour notre seul pays.
Le 26 juin dernier, à peine la première vague épidémique passée, la nouvelle direction du groupe annonçait la suppression de 1 700 emplois en Europe, dont un millier en France sur les 25 000 restant. Après la fermeture programmée des sites de Strasbourg et d’Alfortville, il ne restera plus que trois laboratoires de recherche sur les onze que comptait l’entreprise il y a dix ans, tandis que, sur la même période, elle recevait un milliard d’argent public sous forme de crédit impôt-recherche.
Et Sanofi figure chaque année parmi les champions de versement de dividendes, sans y déroger en pleine pandémie. L’inefficacité industrielle, la goinfrerie actionnariale et le pillage d’argent public se conjuguent avec le péril sanitaire… Seuls les actionnaires trinquent tandis que les salariés tremblent et que les français sont privés d’outils de production dans un secteur décisif.
Cette gabegie a pour conséquence catastrophique que, des cinq membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, seule la France n’a pas conçu son propre vaccin. Or, la souveraineté sanitaire comme industrielle est la condition d’un internationalisme conséquent. Car qu’a aujourd’hui la France à proposer aux peuples du monde privés des premières doses de vaccins ? Rien, absolument rien, si ce n’est de suivre aux dernières places la file d’attente au guichet du marché vaccinal.
Devant l’urgence sanitaire mondiale et face à l’incapacité de leurs dirigeants, la CGT Sanofi a proposé la réquisition de ses chaînes de production pour que l’entreprise sous-traite la fabrication de vaccins conçus ailleurs et leur mise hors marché sous licence libre.
C’est une proposition de bon sens qu’ignore superbement le pouvoir. Pendant ce temps, l’Union européenne est le théâtre d’un spectacle désolant où la concurrence bat son plein, chaque pays tentant d’accaparer au détriment de ses voisins les vaccins dont la fabrication peine à suivre la demande, à rebours de ce que l’on est en droit d’attendre d’une « union » de coopération européenne.
La propriété capitaliste montre, dans la santé plus qu’ailleurs, sa totale incapacité à répondre aux besoins humains. A l’exigence de vaccins universels mis hors marché doit répondre celle d’une propriété sociale et démocratique, où travailleurs, ingénieurs, chercheurs, médecins et citoyens définissent les termes d’une production planifiée.
Les menaces sanitaires qui risquent de s’accumuler exigent que s’ouvre le débat.
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C'est quoi ? Le Conseil scientifique Covid-19 a été installé le 11 mars par le gouvernement. Il est chargé « d'éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire liée au coronavirus », expliquait alors le ministre de la Santé Véran. .C'est qui ? Un groupe d'experts présidé par le professeur Jean-François Delfraissy, également à la tête du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) depuis 2016. Le Conseil scientifique comptait 11 membres à sa création. Sa composition a ensuite un peu évolué, avec des entrants, et un sortant notable, le désormais célèbre Didier Raoult. Ils sont à présent 13, selon une note du 12 septembre, parmi lesquels on trouve des spécialistes renommés des épidémies et des infections, mais aussi un sociologue et une anthropologue. Les membres de cette instance sont bénévoles, comme l'indique son règlement intérieur.
Le médiatique et controversé Didier Raoult a quitté l'instance au bout de deux semaines. Il l'a ensuite accusée d'être liée à des laboratoires pharmaceutiques. France info a démêlé le vrai du faux sur ce sujet. En résumé, certains membres sont effectivement liés à des groupes industriels. Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Bichat à Paris, est la personne qui compte le plus de liens avec des groupes pharmaceutiques. Toutefois, Jean-François Delfraissy n'y voit aucun conflit d'intérêts, puisque les membres du Conseil ne se sont pas prononcés sur les traitements du Covid-19.
Quelles sont ses missions ? Le Conseil scientifique est chargé d'apporter « un éclairage scientifique et réactif sur des questions précises et concrètes relatives à la gestion de la crise sanitaire », écrivait le ministère de la Santé en mars. Tous ses avis sont du domaine public.
Quel est son poids ? L'exécutif a beaucoup mis en avant le travail du Conseil scientifique et s'est appuyé sur ses avis pendant les premiers mois de la crise sanitaire en France. Emmanuel Macron avait par exemple répété, en mars, que le maintien du premier tour des élections municipales était le fruit d'un consensus scientifique et politique »« Nos décisions ont été prises sur la base de recommandations scientifiques », avait insisté le chef de l'Etat. Mais le relation entre l'Elysée et ce collège d'experts s'est crispée. Emanuel Macron y a progressivement (9 mois après son installation par l'Elysée) moins souvent fait référence .
Dans sa dernière note, le Conseil scientifique rappelle que ses compétences et ses avis « se limitent à des considérations d'ordre strictement sanitaire » et qu'il ne se prononce pas sur les décisions politiques et juridiques. Début septembre, une petite phrase de Jean-François Delfraissy (« le gouvernement va devoir prendre des décisions difficiles » ) a tout de même fait polémique.
« Chacun doit rester à sa place, c'est aux dirigeants démocratiquement élus de prendre des décisions », lui a répondu Emmanuel Macron.