HISTOIRE D’UNE FIERTÉ OUVRIÈRE
VALDUNES
« Il y a 25 ans, Valdunes était le leader mondial dans son secteur. Aujourd’hui on n’est même pas la plus grosse usine de Trith-Saint-Léger. »
Le constat est un résumé fidèle du déclin connu par la dernière entreprise de France à produire des essieux et roues pour le ferroviaire. Salarié depuis 1989, Éric Vincent fait partie de ces personnes qui n’ont pu qu’assister impuissants à la déchéance de Valdunes après la dislocation du groupe Usinor, en 2001.
« Depuis, la masse salariale a été diminuée de 50% alors que nous étions plus de 700 salariés. On a continué à avoir une activité importante puis des fonds de pension américains, allemands et chinois, nous ont repris. Ils ont laissé partir des personnes sans forcément les remplacer et on a périclité », relate-t-il en observant son usine de toujours depuis le portail où sont installés les piquets de grève, depuis le 5 mai.
Au-delà du drame social que représente la possible fermeture de Valdunes d’ici fin octobre, c’est tout un pan du patrimoine industriel du Nord qui est menacé. Du record de vitesse du TGV à l’introduction de roues lourdes-charges adaptées tant au climat de Mauritanie qu’à celui du Canada, en passant par l’équipement du métro parisien ou du tramway niçois, la société s’est muée en fleuron national au cours de sa riche histoire.
Pour autant, ce n’est pas le savoir-faire des salariés qui est au cœur du problème, ni la qualité des pièces produites. Il s’agit-là d’un sujet bien plus profond qui « n’est en réalité qu’une représentation de la manière dont fonctionne l’économie aujourd’hui », souligne Thomas Lebas, salarié chez Valdunes depuis 13 ans.
Une excellence restée intacte malgré les manques de moyens
Reconnu mondialement pour être un pôle d’innovation avec des équipes dédiées à la création de nouvelles technologies durant des décennies, Valdunes possède encore un service développement. Tout comme des ouvriers connaissant leur métier et en capacité de produire avec efficacité pour répondre aux demandes.
Sauf que, depuis la reprise en 2014 par la société chinoise Maanshan Iron and Steel (MA Steel), le carnet de commandes a continué de fondre comme neige au soleil. La résultante d’une combinaison entre des clients traditionnels comme la SNCF préférant se tourner vers des fournisseurs étrangers à moindre coût et du manque de volonté de ce nouvel actionnaire pour relancer l’activité des sites français.
Pourtant, lorsque ce repreneur arrive pour succéder aux Allemands de GHH, les espoirs étaient affichés. « MA Steel a investi 140 millions d’euros en 2014 pour proposer un matériel adapté. Mais en ne faisant que réduire notre activité et en ne nous livrant même plus d’acier ces derniers mois, l’actionnaire à clairement décidé de se désengager pour utiliser notre savoir-faire dans ses usines chinoises. »
Aujourd’hui, les salariés l’affirment : bien que vieillissant, l’ensemble du matériel de Valdunes est en capacité de répondre à un carnet de commandes renouvelé en cas de rachat. En ce qui concerne la motivation des ouvriers, il suffit de voir la mobilisation actuelle pour rassurer n’importe quel actionnaire.
****************
Fabrice Lefebvre, salarié depuis 1991 et maire de Paillencourt
* Comment avez-vous ressenti le déclin de Valdunes ?
** Cela fait 32 ans que je travaille ici. Aujourd’hui, je suis responsable d’une équipe de maintenance et d’automaticiens ; ma fonction est notamment de dépanner les robots et machines-outils. Lorsque je suis entré dans l’entreprise, nous étions 12 dans l’équipe. Nous ne sommes désormais plus que quatre. Même constat dans les ateliers où nous étions une soixantaine contre une vingtaine aujourd’hui.
* Peut-on parler de disparition d’un patrimoine local ?
** J’ai grandi ici et je suis maire d’une commune voisine. C’est un pincement au cœur que d’imaginer la fin de cette vie. Nous nous connaissons tous depuis le collège de Trith-Saint-Léger voire, pour certains, depuis l’école au Poirier. Même parmi ceux qui sont partis, on en a retrouvé plus tard à Valdunes. Comme mes collègues, j’ai donné trente ans de ma vie, du lundi au dimanche et il y a une réelle dimension familiale à notre travail : les pères, fils et petits-fils se sont succédés à la tâche.
* C’est donc en famille que vous luttez ensemble ?
** On a l’habitude de se serrer les coudes que ce soit dans les bureaux ou à l’atelier. Et cela n’est pas différent dans notre lutte. Même si chacun a évolué à sa manière, on s’entend tous bien. Même avec notre directeur français d’ailleurs. J’ai confiance en lui pour trouver un repreneur et sauver les 350 salariés.
****************
Acteur majeur pour l’avenir de Valdunes, le ministère de l’Économie porte pour les salariés l’espoir d’une reprise. Mais après plusieurs réunions, les avancées se font toujours attendre. Conscients que le temps tourne contre eux, les salariés sont décidés a brusquer les choses. « On va intensifier le mouvement. Il y a beaucoup de colère. C’est une semaine noire qui débutera lundi 22 mai à 5h. Plus personne ne rentrera dans l’usine, pas même les sous-traitants donc la production sera totalement à l’arrêt », promet Maxime Savaux, délégué syndical CGT du site de Trith-Saint-Léger.
Profitant du pont de l’Ascension, les 336 salariés de Valdunes ont levé les piquets de grève le 17 mai en fin de journée. Une première occasion de se reposer après des débuts intenses marqués par les visites d’ouvriers d’autres usines ou d’élus tels Marine Tondelier (EELV), François Ruffin (LFI), Xavier Bertrand (LR) et Fabien Roussel (PCF).
Ces deux derniers étaient présents à la manifestation du 13 main, organisée par la Ville de Trith-Saint-Léger. En outre, les grévistes ciblent le directeur-général de Valdunes, Daniel Cappelle, qu’ils accusent de bloquer les négociations. « On ne veut plus de lui comme interlocuteur. Il est peut-être trop attaché à l’entreprise, il se comporte comme s’il s’agissait de son usine. Il y a eu un Valdunes avant lui, il y aura un Valdunes après lui. »
Une pétition demandant son départ a été lancée par les salariés, mais c’est bien lui qui devrait représenter MA Steel le 22 mai à l’occasion de la prochaine rencontre avec Bercy.
PAR ALAN BERNIGAUD