Contre les racismes et les divisions, l’émancipation (blog de Patrick Le Hyaric)
Il s’en est passé des événements depuis la mi-décembre qui ont ou auront des conséquences sur la vie de nos concitoyens. Ils ont été presque camouflés par la montée en épingle de ce qui a été appelé « l’affaire Dieudonné ». Celle-ci bouclée, le turbo médiatique s’est remis en marche sur la vie privée du Président de la République. Ceci relègue au second plan les salariés de la SNCM qui défendent leur outil de travail et le service public, les ouvriers de Goodyear-Amiens, sacrifiés sur l’autel de la mondialisation financière et qui tentent de se faire entendre, comme ceux de Mory-Ducros, ou celles et ceux de la Redoute. Ce ne sont ici que quelques exemples qui montrent, s’il en était besoin, que les souffrances et les urgences sociales minent notre société de part en part. A cette crise sociale, le pouvoir répond souvent qu’il ne peut pas grand-chose. Pourtant, dans la même période, il a décidé d’octroyer un milliard d’euros à la modernisation de l’avion Rafale, pendant qu’il répondait qu’on ne peut rien pour soutenir telle ou telle entreprise.
Sans trop de réactions, la TVA a été augmentée depuis le 1er janvier, tandis que l’évolution du salaire minimum ne compense pas les hausses des coûts de la vie. Au même moment, la démocratie sociale recevait un missile avec le projet de suppression des élections prudhommales et malgré un jugement positif, cinq syndicalistes de Roanne sont à nouveau poursuivis par un recours en appel du… parquet, c’est-à-dire le représentant du gouvernement. Dans un grand pays européen, l’Espagne, le droit à l’avortement est mis en cause. Dans un autre, l’Allemagne, la ville de Hambourg ferme ses équipements culturels en vertu des dogmes austéritaires. Et Mme Merkel, à la tête d’une coalition droite-sociaux démocrates, propose d’assujettir tous les peuples européens à des « contrats de compétitivité », pilotés depuis Berlin et Bruxelles, pour diminuer autoritairement les budgets des Etats, des collectivités locales et des systèmes de protection sociale. Le Président de la République, F Hollande, après avoir accepté le traité Merkozy, applique par avance ces oukases merkéliens puisque c’est cette ligne qu’il défend dans tous ses vœux depuis le premier jour de cette année.
Evidemment, tous ces sujets et bien d’autres encore qui ont de lourdes conséquences sur la vie quotidienne, n’ont été traités médiatiquement que de manière secondaire ces dernières semaines au profit unique de ce que l’on appelle « l’affaire Dieudonné ». Ce politico-humoriste-affairiste, aux échappées délétères et nauséabondes, intégré aux extrêmes-droite dont la famille Le Pen, pour qui l’antisémitisme est devenu depuis longtemps tout à la fois, une profession de foi et une source de profits, a déjà été condamné plusieurs fois pour ses propos, sans que ces condamnations ne soient jamais appliquées. Pourquoi ? Et pourquoi subitement au moment où le processus d’inverser la courbe du chômage ne se réalise pas et alors que le Président de la République passe à une étape supérieure dans sa mue social-libérale, son ministre de l’intérieur fait-il du sinistre personnage de Dieudonné, l’ennemi public numéro un ? Dans un curieux maelström, M. Valls, dont on doit rappeler qu’il n’est pas garde des sceaux, se met à faire appliquer des lois et à les écrire lui-même, alors que notre arsenal juridique, particulièrement la loi Gayssot, permet d’agir efficacement. Mieux, voici que dans un drôle d’imbroglio, il s’est trouvé des juridictions prenant des décisions différentes jusqu’à l’invention d’une sorte de délit par anticipation, promulgué par le Conseil d’Etat.
Or, il y a bien longtemps que dans notre société le racisme et l’antisémitisme ne sont pas des opinions mais des délits, condamnables et qui doivent être condamnés comme tels. La méthode employée par le ministre de l’intérieur, consistant à se mettre en avant, au détriment de la ministre de la justice et du premier ministre, n’aboutit qu’à faire d’un vecteur de la pensée extrémiste et lepéniste, un martyr et un porte voix de la liberté d’expression. Ce qui est un comble ! Croire que de telles mesures administratives et policières règleront une des problématiques inquiétantes -la montée du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie- qui mine notre société depuis des années en y distillant haine et division, est un leurre. Les secteurs de l’information, de la culture et de la création, de l’éducation, doivent être mobilisés pour cesser de laisser banaliser les horreurs nazies de la seconde guerre mondiale. On ne peut rire ainsi de l’ignoble ! C’est aussi la responsabilité des forces politiques et des mouvements attachés aux valeurs républicaines. Tous les racismes, l’antisémitisme, l’islamophobie, les campagnes contre les Roms et tous les étrangers, doivent être combattus avec la même fermeté. Or, ce n’est plus le cas.
Jusqu’au sommet de l’Etat, des ministres de l’intérieur désignent des populations à la vindicte publique. Des jeunes n’ont pas accès au travail ou sont suspectés du fait de leur nom ou de leur lieu de résidence. Enfin, ne soyons pas dupes ! Il y a un lien profond entre cette opération et ce que j’écris en commençant cet article. Le long sketch de Dieudonné-Valls aide à détourner les regards. Le monde capitaliste cultive la haine et la division afin de dresser ses victimes les unes contre les autres. Il veut, à tout prix, substituer les indispensables combats sociaux entre le travail et le capital, pour une autre répartition des richesses, par des affrontements « identitaires » entre les exploités, les dominés eux-mêmes, pour mieux faire perdurer le système. Ajoutons que ceci se déroule sur un fond de confusion généralisée, de brouillage des repères, de désinformation, de travestissement de l’histoire, d’une régression de la pensée pour accompagner les régressions sociales, morales et politiques.
Ceci a évidemment de multiples implications que les forces sociales se doivent de prendre à bras le corps. Le racisme est un poison mortifère, au sens de l’humanisme, du vivre ensemble et de la République. Il l’est aussi au sens de l’indispensable solidarisation des femmes et des hommes pour débattre de l’invention d’une autre société, d’un autre monde, débarrassés des exploitations et des aliénations.
Le débat et les actions que nous devons mener sont d’une autre ampleur et d’une toute autre ambition que des objectifs politiciens et électoralistes qui peuvent se révéler très dangereux pour la démocratie elle-même.