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Cellule PCF ''Plantive'' de Saint-Saulve

Depuis 2017, retournons-nous 170 ans en arrière avec l’équipe en place?

18 Juin 2018, 21:52pm

Publié par Cellule PCF de Saint-Saulve

Le 18 Brumaire - Karl MarxLe 18 Brumaire - Karl Marx
Le 18 Brumaire - Karl Marx

Le 18 Brumaire - Karl Marx

de Jean-Numa Ducange

Maître de conférence à l'université de Rouen.  

 

En février 1848, lorsque se déclenche la révolution à Paris,Marx est jeune, révolutionnaire et plein d'espoir. Il vient de publier avec Engels, « Le Manifeste du Parti communiste.»

Presque quatre ans plus tard, le 2 décembre 1851, les partisans de Louis Bonaparte mettent fin à la deuxième expérience républicaine de l'histoire de France par un coup d’État. Marx prend la plume et tente d'expliquer comment on en est arrivé là : c'est là l'origine « du 18 Brumaire de Louis Bonaparte » écrit à chaud et publié immédiatement après les événements, en mai 1852.

Louis Bonaparte – bientôt empereur des Français sous le nom de Napoléon III – n'avait pas choisi le 2 décembre par hasard : référence glorieuse évoquant un double anniversaire, celui du sacre de son oncle,Napoléon 1er et de la bataille d'Austerlitz.

Marx prolonge en quelque sorte l'analogie en intitulant son texte « Le 18 Brumaire » en allusion au coup d’État de 1799, qui mit fin à la décennie révolutionnaire.

C'est bien donc sur le temps long que Marx tente de comprendre le bonapartisme : comment expliquer qu'à nouveau un immense élan révolutionnaire et républicain se termine par un coup d’État conservateur ?

Au-delà de l'analyse des acteurs de l'époque, qui a plus ou moins bien résisté, l'effort pour penser le rôle de la tradition napoléonienne constitue un des aspects des plus remarquables du 18 Brumaire. Analysant le poids de cette tradition parmi la paysannerie (alors très majoritaire), Marx établi un lien entre les options sociales et politiques d'une grande partie de la population et leur imaginaire : au nom de Napoléon reste associée la consolidation de la petite propriété au début du siècle.

Aussi Louis Napoléon peut-il surgir et s'appuyer sur la mémoire positive de son oncle pour écraser les révolutionnaires dans les urnes : après avoir été élu président de la République le 10 décembre 1848, il les marginalise durablement par un coup d’État, avec une forte approbation populaire.

Plus ambigu est le rapport de Marx à la tradition révolutionnaire de 1789, qui, entre 1815 et 1851, se confondait parfois avec l'héritage napoléonien (« Vive la révolution, vive napoléon ! » pouvait-on entendre dans les années 1820/1830)

Force mobilisatrice car puissant dans le passé l'énergie révolutionnaire pour le présent, la tradition de 1789 peut aussi devenir un véritable frein, empêchant les acteurs de penser de nouvelle conjoncture : la révolution sociale à venir ne doit-elle pas être tout à fait autre chos que 1789-1793 et tenir compte du nouvel acteur historique qu'est le prolétariat ?

Les jugements sévères que l'on va lire ici à l'égard des républicains français doivent se comprendre dans ce cadre : Ledru Rollin et les autres semblent vouloir rejouer 1789...sans tenir compte des nouvelles conditions sociales et historiques.

Un autre point clef est la critique de la croissance de l’État « parasitaire » de la bureaucratisation à l’œuvre dans l'histoire de France, que Napoléon III prolonge : là encore Marx à l'échelle des siècles, constatant le poids de la centralisation dans l'histoire depuis la monarchie absolue du XVII ème siècle.

 

Le philosophe de Trèves développe ici la nécessité de « briser » l’État (« Toutes les révolutions politiques n'ont fait que perfectionner cette machine, au lieu de la briser ») réflexion qu'il poursuivra lors de la Commune de 1871 dans la « Guerre civile en France »

L’État demeure fondamentalement un organe dominé par une classe dominante, qu'il faudra à terme donc « briser » pour dégager une perspective authentiquement socialiste.

 

Ce texte a-t-il encore une actualité ?

Certes, nombre d'événements nous paraissent désormais très loin. Mais pour qui réinterroge sur les institutions et le présidentialisme, bien des remarques nous donnent encore à penser. Car la critique féroce que contient le 15 Brumaire interroge les formes contemporaines de néo-bonapartisme et ses soutiens sociaux et politiques.

Marx aurait été probablement consterné et s'en serait probablement amusé avec sarcasme, de voir en 2017 la quasi-totalité des hommes politiques français se réclamer du Napoléon du siècle (de Gaulle) cinquante ans après la mise en place de la Constitution la plus bonapartisme de l'histoire républicaine.

Ultime confirmation, ironique (et tragique ?) du poids d'une tradition persistante : même un dirigeant prônant la « VIémepublique » est capable de rendre au fondateur de la Vème, un « homme exceptionnel »… qui avait pourtant méticuleusement tout mis en œuvre pour empêcher la moindre remise en cause du cadre institutionnel de 1958.

Amer constat :

Certaines pathologies de la vie politique française diagnostiquées par Marx il y a cent cinquante ans semblent avoir un bel avenir devant elles.

 

Cela rend urgent encore la lecture du 18 Brumaire.

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