Alexis Kohler: Est-il le « Raspoutine » de la macronie au XXIème siècle ?
Par Mathias Thépot et Vanessa Ratignie
Est-il le « Raspoutine » de la macronie au XXIème siècle ?
Homme lige d’Emmanuel Macron depuis son passage à Bercy en 2014, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, joue un rôle crucial dans le Meccano industriel français… en phase de déconstruction.
Démantèlement de fleurons bâtis sur la commande publique, État actionnaire à la ramasse, casse sociale et honoraires mirobolants… Le bilan met à mal les promesses de réindustrialisation claironnées par le président. Enquête.
« Je n’ai jamais senti la moindre difficulté entre eux, témoigne un ancien ministre qui les a côtoyés. Leur modus operandi est extrêmement bien huilé : à Macron l’annonce des bonnes nouvelles, à Kohler le traitement des dossiers compliqués et des négociations difficiles en coulisse. »
Directeur de cabinet du ministre de l’Économie de 2014 à 2016, cheville ouvrière du mouvement En marche ! lors de la campagne présidentielle et secrétaire général de l’Élysée depuis 2017, Alexis Kohler est le plus proche collaborateur d’Emmanuel Macron depuis l’entrée en politique de ce dernier.
Son homme de confiance, son alter ego, mieux, son complément. Le récit est bien rodé : Kohler est souvent dépeint comme le « jumeau » de Macron. Narratif qui témoigne de son importance mais minore son rôle prépondérant dans la politique économique du pays.
« À l’Élysée, la culture économique, c’est-à-dire la connaissance des sujets et des interlocuteurs, n’a jamais été aussi pointue témoigne un familier de la mécanique du Palais. Et Alexis Kohler incarne cela. »
VISION TECHNOCRATIQUE DE L’ÉCONOMIE
Son influence est telle qu’elle balaie parfois jusqu’aux engagements présidentiels. « La promesse de Macron d’émancipation par la réussite économique a été broyée par une vision technocratique de l’économie.
Et le cerveau de cela, c’est Kohler » tacle Aurélien Taché, député ex-LREM, aujourd’hui opposant. Il précise : « Kohler inscrit la France dans un processus de mondialisation néolibérale tel que l’imaginent les cerveaux bruxellois, où les grandes multinationales, pas forcément françaises, se taillent la part du lion. »
Pendant ce quasi-septennat – le duo ayant officié deux ans au ministère de l’Économie puis cinq ans à l’Élysée –, Alexis Kohler s’est vu confier par Emmanuel Macron le traitement des dossiers industriels les plus sensibles, comme la vente d’Alstom Power à General Electric et celle d’Alcatel à Nokia, l’OPA hostile de Veolia sur Suez, la tentative (ratée) de privatiser ADP ou la scission (avortée) des activités d’EDF.
Autant d’ombres au bilan du président sortant, et dont il faut attribuer une large part de responsabilité à son grand chambellan – par ailleurs embourbé dans une affaire gênante de conflit d’intérêts présumé avec sa famille.
MFC et Alexis Kohler
« Les banquiers de la macronie en place, ne laissent pas les honnêtes citoyens s'attaquer aux grandes fortunes implantés à l'Elysée sous leurs protections. »
Les relations entre MSC et Alexis Kohler sont à l'origine d'une affaire politico-financière française déclenchée par les plaintes déposée par l'association Anticor en juin et août 2018 et par la publication par Mediapart en juin 2020 d'une note d'Emmanuel Macron adressée au parquet national financier (PNF) pour disculper Alexis Kohler, au lendemain d’un rapport de police l’accablant en juin 2020.
Après sa nomination comme secrétaire général de l'Elysée, il annonce qu'il se déportera pour toutes les questions qui pourraient concerner MSC; Martine Orange indique que « pourtant, selon [ses] informations, il semble que le secrétaire général de l’Élysée, même s’il est resté en coulisses, ait gardé un œil très vigilant sur le dossier ».
Alexis Kohler assure qu'il « ne traite plus du sujet : c'est Anne de Bayser, secrétaire générale adjointe, qui s'en charge ». Martine Orange relève notamment que la position de MSC sur le dossier STX, défendue à Bercy par Alexis Kohler en mars 2017, est celle du nouveau gouvernement.
En mai 2018, Martine Orange révèle dans Mediapart son lien de parenté avec Rafaela Aponte, cofondatrice de MSC, et met en cause « un conflit d’intérêt majeur » compte tenu des responsabilités qu'il a exercées jusqu'alors sans que ce lien soit connu ni signalé selon elle.
À l'appui des procès-verbaux du conseil de surveillance du Grand port maritime du havre (GPMH), Martine Orange et Laurent Mauduit assurent notamment que « lorsqu’il siégeait comme administrateur au conseil de surveillance du port du Havre, Alexis Kohler n’a jamais informé les autres membres du conseil de ses liens familiaux avec MSC » et « ne s’est jamais déporté quand MSC était concerné », contrairement à ce qu'affirme alors le palais de l'Elysée.
Par le biais de ses avocats Jean-Baptiste Soufron et Patrick Rizzo,Anticor, association de lutte anti-corruption, dépose plainte contre Alexis Kohler le 1er juin 2018 pour « prise illégale d'intérêt », « trafic d’influence » et «corruption passive » pour sa présence passée au conseil d'administration de DTX France, dont MSC est le client principal, sans faire état de ses liens familiaux avec l’armateur, ainsi que pour la rencontre de mars 2017. Le Parquet national financier indique avoir ouvert une enquête avant même cette plainte ; le palais de l’Élysée (Macron) annonce qu’il rejette « des soupçons totalement infondés ».
Une nouvelle plainte est déposée par Anticor le 8 août 2018, pour « » : celle-ci se fonde sur des votes d’Alexis Kohler pour des contrats prise illégale d'intérêt en faveur d’une filiale française de MSC concernant l'exploitation d'un terminal du Grand port maritime du Havre (GPMH), alors qu’il siégeait en 2010-2012 au conseil de surveillance de cet établissement public (EPIC), en tant que représentant de l'Agence des participations de l’État (APE), aux côtés du maire du Havre, l'ancien Premier ministre Edouard Philippe. En mars 2019, Anticor dépose une troisième plainte pour « faux et usage de faux » et « omission substantielle de ses intérêts ». L'enquête pour pris illégale d'intérêts est classée sans suite en août 2019.
Le 4 décembre 2019, l’association Anticor décide de se porter partie civile.
Le 23 juin 2020, Mediapart révèle qu'Emmanuel Macron avait écrit au PNF à l’été 2019 pour disculper Alexis Kohler, au lendemain d’un rapport de police l’accablant, passant ainsi outre la séparation des pouvoirs. À la suite de cette lettre, un second rapport d’enquête avait été écrit, aboutissant à des conclusions inverses. Un mois plus tard, l’enquête avait été classée sans suite.
Le 23 juin 2020, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile de Anticor, des juges d’instruction ouvrent une information judiciaire pour « prise illégale d’intérêts », « trafic d’influence » et « défaut de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ».
En novembre 2021, cette affaire constitue le sujet principal du premier numéro d'Off-investigation.
Off-Investigation est un site d'information grand public français à « 100% spécialisé dans l’enquête journalistique au long cours », créé en octobre 2021 par un groupe de journaliste d'investigation parmi lesquels Jean-Baptiste Rivoire, ancien rédacteur en chef-adjoint de l'émission Spécial investigation sur Canal+.
Financé par les journalistes fondateurs et les réseaux participatifs via « KissKissBankBank », visant à permettre des enquêtes qui ne pourraient jamais voir le jour en dehors d'un financement citoyen, Off-investigation a pour domaines d'enquêtes « les parts d’ombre de la Macronie » concernant des questions d'intérêt général, « les conflits d’intérêts, trahisons, dépeçage de l’outil industriel français, affairisme au cœur de l’État, mainmise sur les médias, mise sur la paille des services publics, répression des gilets jaunes ».