"Mettons fin à la gangrène de la finance" : cinq questions à Éric Bocquet, Sénateur du Nord
* Publication du patrimoine, création d’une haute autorité indépendante, lutte contre la délinquance économique et financière ainsi que contre les paradis fiscaux ; que pensez-vous des mesures annoncées par François Hollande afin de favoriser la transparence de la vie politique ?
Éric Bocquet. À l’évidence les premières annonces faites par le Président de la République et le gouvernement ne sont pas de nature, tant pour leur contenu que par leur ampleur, à casser les liens étroits qui unissent trop de responsables politiques au monde de la finance. L’obligation faite aux banques de publier une comptabilité « pays par pays » figure déjà dans la loi, au demeurant très insuffisant, de séparation des activités bancaires débattue et votée au Parlement en mars dernier. Quant à la liste des paradis fiscaux souhaitée, il faut être efficace et éditer une seule valable pour tous les pays du monde. Il faut savoir en effet qu’il en existe quatre ! Toutes différentes selon que l’on consulte celle de la France, de l’OCDE, du GAFI ou encore des Etats-Unis. Il est indispensable qu’une définition unique des paradis fiscaux soit élaborée, comment en effet accepter que des pays comme le Luxembourg, Jersey ou les Bahamas ne soient pas inscrits sur la liste française ?
* Vous-même, parlementaire communiste, êtes-vous prêts à jouer cette carte de la transparence ?
E-B. La transparence pour les élus du PCF va de soi, nous ne sommes pas des professionnels de la politique, nous sommes investis d’un mandat d’élu non pas pour faire carrière ou fortune. Rappelons ici que nos indemnités sont versées à notre organisation politique via son association de financement et qu’en retour nous percevons la part qui nous revient, ce principe est clair et sain. Chaque sénatrice et sénateur du groupe CRC a rempli sa déclaration de patrimoine en début de mandat, que tous ces documents soient vérifiés systématiquement. A l’heure où les élus et partis politiques suscitent doute et suspicion, il est urgent de couper nettement les liens entre politiques et financiers. Notre République souffre trop souvent de conflits d’intérêts. L’exercice d’un mandat ne peut-être considéré comme un métier, c’est à nos yeux le moyen d’un engagement au service des idées et des valeurs que nous portons du conseil municipal au parlement.
* Les annonces gouvernementales sont-elles de nature à éviter un nouveau scandale Cahuzac ?
E.B. Je ne le crois pas. Ces annonces ne répondent pas aux questions que pose l’affaire Cahuzac. Le Président de la République et le gouvernement répètent régulièrement que ce scandale est la faute d’un homme. Depuis, on a évoqué le cas Guéant, le financement obscur de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Nous pensons que cette affaire a clairement révélé les liens, les complicités entre certains élus et la finance.
* Il y a quelques mois de cela, vous avez été rapporteur d’une commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion fiscale. Aujourd’hui, votre groupe a demandé et obtenu la création d’une nouvelle commission d’enquête. Qu’est-ce que cette dernière peut apporter de plus ?
Il appartiendra enfin à la commission d’enquête de décider d’auditionner des personnalités impliquées ces dernières années dans ce système. Et certaines auditions pourraient, de part les personnalités qu’elles concerneront, prendre en tour assez spectaculaire.
E.B. Il me semble que les affaires récentes ont élevé encore le niveau d’indignation de l’opinion publique. Il y aura un avant et un après Cahuzac. Et puis, je le redis, cette belle enquête « Offshoreleaks » menée par 86 journalistes d’investigation de 46 pays du monde entier a conforté nos propres analyses et constats. Les 21 membres de notre commission d’enquête viennent d’adresser à Jean-Pierre Bel, président du Sénat, une lettre par laquelle nous demandons que notre assemblée soit dotée des moyens d’action et de suivi de ces sujets en décidant la création d’une délégation sénatoriale à la défense des intérêts financiers publics.
Cette idée reprend la proposition n° 5 du rapport publié en 2012, nous pensons en effet que le Parlement doit être doté d’un tel outil. Il me semble difficile aujourd’hui de ne pas avancer sur cette question de manière concrète. On peut noter à ce propos que le G20 semble décidé à s’emparer résolument du sujet, l’Union européenne tient le même discours. Tant mieux, mais nous attendons des actes et des décisions politiques.
Plus que jamais, seule une opinion publique informée, mobilisée et active pourra faire avancer les choses dans le bon sens, c’est un chantier immense qui est devant nous, ce sera enfin la meilleure réponse au « problème ». Et nous sommes déterminés à porter cette ambition.